Ouvrage:L’indépendance, maintenant !/Un pays de régions démocratiques et autonomes

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Contributeur initial Louis Bernard


Introduction

Ce n’est pas spontanément qu’on pense au Québec souverain comme devant être, fondamentalement, un Québec radicalement différent du Québec actuel. Plus naturellement, on imagine le passage de l’état de province à l’état de pays comme une simple évolution linéaire. Ce sera, peut-on croire, le même Québec, mais un peu plus gros. Ce sera comme si on mettait un peu plus d’air dans un ballon, qui deviendrait certes plus volumineux, mais qui resterait essentiellement le même. Mais cela est une idée fausse.

Au contraire, l’accession du Québec à sa souveraineté sera l’occasion d’une transformation radicale de ce Québec que nous connaissons aujourd’hui. Ce sera la naissance d’un Québec nouveau, tout comme la Révolution tranquille des années 60 a donné naissance à un nouveau Québec. Le Québec souverain sera, à terme, aussi différent du Québec actuel que ce dernier est différent du Québec d’avant la Révolution tranquille. Et cela ne sera nulle part plus évident qu’en ce qui concerne la nécessaire régionalisation qui accompagnera forcément la souveraineté.

La régionalisation rêvée

Socialement, le Québec est un pays de régions; politiquement, toutefois, c’est un pays unitaire. C’est pourquoi on parle, depuis des décennies, d’une nécessaire régionalisation, c’est-à-dire de la reconnaissance des régions comme de véritables entités politiques ayant des pouvoirs et des ressources fiscales qui leur soient propres.

Les régions actuelles du Québec n’ont aucun pouvoir politique. Même si, avec le temps, elles ont développé une véritable identité sociologique et un fort sentiment d’appartenance, elles ne sont, juridiquement, que de simples régions administratives. D’où une réaction d’impuissance et de frustration qui se développe et s’amplifie à mesure que s’accentue le clivage entre les grandes villes et les régions-ressources, et entre les régions plus prospères et celles qui le sont moins.

Mais ce discours de la nécessaire régionalisation du Québec est resté purement verbal et, malheureusement, n’a jamais eu de suites concrètes. Les promesses ont été nombreuses. Les engagements innombrables. Les rencontres et sommets multiples. Mais sans jamais déboucher sur des résultats tangibles. Sans jamais qu’il y ait une véritable décentralisation des pouvoirs et des ressources en faveur d’instances politiques régionales (Coalition pour un Québec des régions, 2007).

Il y a donc, chez nous, un véritable blocage qui nous empêche de procéder à une réforme qui, non seulement, est réclamée depuis longtemps, mais serait grandement bénéfique à la démocratie québécoise. Pourquoi ce blocage, cette impossibilité d’agir?

Pourquoi régionaliser?

Demandons-nous d’abord pourquoi il serait bon de régionaliser le Québec. À cette question, il y a plusieurs réponses.

La première tient évidemment à l’existence même des régions comme une réalité sociologique qui conditionne la vie d’un grand nombre de Québécois. Ceux-ci s’identifient spontanément à leur région et ils ont à cœur de travailler à son développement. Ils sont Gaspésiens, Abitibiens, Montréalais, etc., comme ils sont citoyens du Québec. Le premier motif de la régionalisation, c’est donc de mobiliser cette fierté régionale afin de stimuler la contribution des régionaux au succès et au développement de leur région.

La deuxième raison, c’est de reconnaître la diversité régionale. Les besoins du Saguenay–Lac-Saint-Jean ne sont pas ceux de l’Outaouais ou de la Capitale nationale. Ceux de la Gaspésie ne sont pas ceux de la Montérégie. Ceux de la grande région métropolitaine de Montréal sont particuliers. Tout cela est évident, mais ne se reflète que difficilement dans la réalité politique du Québec. Car dans toutes les mesures et politiques qui émanent du gouvernement québécois, il est souvent impossible de traiter une région différemment des autres. C’est plutôt la règle du «mur à mur» ou du one size fits all qui s’applique. Une politique qui est, par définition, «nationale» peut difficilement s’appliquer différemment d’une région à l’autre.

La troisième raison sera déterminante dans le cadre d’un Québec souverain. L’Assemblée nationale ne pourra pas alors, même physiquement, combiner l’exercice des pouvoirs qu’elle héritera du Parlement fédéral avec l’exercice de ses pouvoirs actuels. Trop, c’est trop. Il faudra nécessairement qu’un bon nombre de ces pouvoirs soient délégués à d’autres instances: autrement, le Québec deviendrait non seulement l’un des pays les plus centralisés de la planète, mais sa gouvernance serait inefficace parce qu’embourbée. Comme nous le verrons, la région est l’instance la mieux placée pour exercer plusieurs de ces pouvoirs décentralisés.

La quatrième raison se réfère à l’équilibre des pouvoirs nécessaire à toute démocratie vivante. Une société aussi complexe que le Québec ne peut dépendre d’un seul lieu de pouvoir et il est souhaitable que plusieurs foyers de vie démocratique existent sur l’ensemble du territoire. Les diverses forces politiques qui représentent les différents courants d’opinion doivent avoir l’occasion de se développer au sein des régions afin d’enrichir la discussion publique qui est essentielle à la vie démocratique de la nation.

La cinquième raison est complémentaire aux deux précédentes: par la régionalisation, on rapproche l’exercice du pouvoir aussi près que possible des citoyens afin d’améliorer la qualité de la démocratie québécoise et la participation des citoyens à la conduite des affaires publiques. On peut ainsi mettre en œuvre le «principe de subsidiarité» selon lequel la répartition des pouvoirs entre les différents niveaux de gouvernement doit se faire de manière à donner la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, à la plus petite entité capable de s’en occuper elle-même. Plus l’exercice du pouvoir est éloigné du citoyen, plus la démocratie devient difficile. Et, à l’inverse, plus le pouvoir est proche du peuple, plus celui-ci peut faire valoir sa volonté.

Quelle régionalisation?

Ce n’est pas tout de dire que le Québec doit être régionalisé: il faut dire de quelle régionalisation on parle, car il y a plusieurs sortes de régionalisation. À cet égard, il faut éviter de réserver le vocable de «région» aux seules régions rurales ou éloignées des grands centres. Au contraire, les grandes villes sont elles-mêmes soit des régions, soit une partie importante de leur région. La décentralisation des pouvoirs doit donc se faire aussi bien au profit des régions urbaines que des régions rurales.

Déjà, le Québec connaît deux formes de régionalisation (Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, 2010a). Il y a, premièrement, une régionalisation faite «à partir d’en bas» qui se vit au niveau des municipalités régionales de comté (MRC) et des communautés urbaines ou régionales; et il y a, deuxièmement, une régionalisation faite «à partir d’en haut» qui touche les 17 régions administratives auxquelles on a donné, avec la création des conseils régionaux d’économie sociale (CRÉS), une dimension quasi politique, mais sans aucun pouvoir. Ces deux sortes d’instances régionales sont, en réalité, complémentaires: l’une relève du niveau local et est composée de structures supramunicipales exerçant, au niveau de la région d’appartenance, des pouvoirs délégués par les autorités locales, tandis que l’autre relève du niveau national et est composée de structures infranationales exerçant des pouvoirs délégués par les autorités nationales.

Dans plusieurs cas, surtout dans celui des grandes villes, ces deux formes de régionalisation se rejoignent. Ainsi, la ville de Laval est à la fois une municipalité, une MRC et une région administrative (no13); elle est également membre de la Communauté métropolitaine de Montréal. Dans plusieurs cas, il y a des chevauchements et des incongruités: dans l’île de Montréal, qui forme la région 06, il n’y a pas de MRC mais une «agglomération», et la Communauté métropolitaine de Montréal englobe deux agglomérations, deux villes-MRC, quatre MRC en totalité, six MRC en partie et cinq régions administratives (en tout ou en partie).

Par conséquent, tout effort de décentralisation et de régionalisation impliquera, au moins à terme, une rationalisation des structures et une coordination des actions des différents paliers de gouvernement afin d’éviter le fouillis et maximiser les résultats. Comme point de départ pour la réflexion, on peut dès maintenant envisager un double mouvement: au niveau des régions d’appartenance, on peut prévoir le renforcement des MRC, celles-ci devenant progressivement le lieu principal du pouvoir local; et au niveau des grandes régions, la mise sur pied de nouvelles structures politiques ayant des pouvoirs et des ressources autonomes.

Le pouvoir local

La décentralisation des pouvoirs au niveau local a une longue histoire au Québec, et personne ne la remet en cause. Mais cette décentralisation n’a malheureusement pas réussi à suivre l’évolution de la réalité locale de sorte que, malgré les progrès accomplis, elle doit encore faire l’objet de réformes importantes.

Avec le progrès des moyens de communication terrestres et électroniques, avec l’urbanisation croissante du territoire et avec la concentration des institutions de santé, d’éducation et de culture, l’environnement immédiat du citoyen s’est élargi bien au-delà de la paroisse et du village qui formaient, il y a à peine une décennie, la grande majorité de nos municipalités québécoises. On a donc dû finalement se rendre à l’évidence: nos municipalités locales étaient devenues trop petites et trop nombreuses, et il fallait procéder à un regroupement, non seulement dans les milieux ruraux, mais également dans les milieux urbains. Cela a été fait, non sans peine, au début des années 2000. Dans la plupart des cas, l’opération fut couronnée de succès, mais beaucoup de problèmes restent à régler, notamment sur la Rive-Sud de Montréal et dans l’île de Montréal elle-même.

De plus, la réalité locale est devenue plus complexe et de nouvelles fonctions sont apparues, notamment dans les domaines de l’aménagement, du transport en commun, de l’habitation sociale, de l’assainissement des eaux, de l’environnement et de la sécurité publique. Très souvent, ces nouvelles fonctions ne pouvaient s’exercer efficacement que de concert avec les municipalités voisines. On a donc pensé, à la fin des années 70, à structurer cette concertation intermunicipale en lui donnant un cadre juridique, la municipalité régionale de comté (MRC).

Présentement, le pouvoir local comporte donc deux niveaux: celui de la municipalité locale et celui de la MRC (Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, 2006). Généralement, c’est la municipalité locale (qui, historiquement, est née en premier) qui forme la cellule de base, celle qui est élue directement par les citoyens et qui a la capacité de taxer; la MRC, plus récente, se compose de conseillers municipaux et est financée par les quotes-parts provenant des municipalités membres. Assez récemment, les choses ont commencé à changer. D’une part, le préfet, qui dirige la MRC, peut désormais être élu au suffrage universel de tous les citoyens de son territoire: neuf MRC ont choisi de faire ce changement. De plus, à la suite des regroupements municipaux, il y a maintenant quatorze villes qui sont à la fois des municipalités locales et des MRC: dans ces cas, on peut donc dire que l’ensemble du pouvoir local est exercé par la ville-MRC.

Dans le cas des grandes municipalités urbaines, un autre modèle est apparu: celui de la ville-centre et des arrondissements ou des quartiers. Dans cet arrangement, la cellule de base est celle de la ville-centre, mais des pouvoirs limités de décision, voire de taxation, sont conférés au niveau inférieur, celui de l’arrondissement.

On peut penser qu’avec le temps, si les choses continuent à évoluer dans le même sens, ces deux modèles vont finir par se rapprocher. C’est ainsi qu’en combinant les deux modèles et en les projetant dans l’avenir, on peut envisager que les MRC deviennent éventuellement la cellule de base du pouvoir local ayant ses propres élus, ses propres pouvoirs de réglementation et sa propre capacité de taxer, les municipalités membres (lorsqu’il y en a) ne conservant que des pouvoirs de réglementation et de taxation limités (comme c’est le cas actuellement pour les arrondissements montréalais).

Cette évolution irait également dans le sens d’une plus grande autonomie fiscale du pouvoir local. À l’heure actuelle, les municipalités locales n’ont que deux sources principales de revenus autonomes: la fiscalité foncière et la tarification. La dernière a évidemment des limites, puisqu’elle est reliée à la fourniture d’un service. Il ne reste donc que l’impôt foncier pour financer l’ensemble des services municipaux qui ne peuvent pas être tarifés. Or, l’impôt foncier, s’il a ses avantages, notamment sa grande stabilité, a aussi ses limites et ses inconvénients. D’où les pressions des villes pour se voir octroyer de nouvelles sources de taxation, notamment celles qui portent sur la consommation ou les transports. Évidemment, de tels pouvoirs fiscaux ne peuvent être exercés que sur un territoire qui a une certaine dimension: plus la municipalité sera grande, plus ses pouvoirs pourront être étendus, et plus elle pourra faire valoir ses arguments pour un élargissement de ses pouvoirs fiscaux.

Il se peut que l’évolution soit différente, mais cela ne devrait pas empêcher une plus grande et une meilleure décentralisation des pouvoirs au niveau local, celui de la région d’appartenance. Les structures sont déjà en place, et il s’agit surtout de poursuivre l’évolution déjà en cours, de redéfinir les pouvoirs respectifs des différentes instances et d’atteindre le degré maximum de décentralisation que permettra ce renforcement du pouvoir local.

Car une plus grande décentralisation des pouvoirs au niveau local est primordiale. C’est à ce niveau, en effet, qu’on peut espérer développer une véritable démocratie de participation. Plus les questions politiques sont proches des citoyens, de leur vie et de leurs besoins quotidiens, plus ceux-ci sont intéressés et, surtout, en mesure de s’y impliquer activement. Dans notre démocratie de représentation, la participation active des citoyens laisse souvent à désirer: c’est une carence qui est de plus en plus déplorée et qui se traduit par le désintéressement de plus en plus prononcé à l’égard des élections.

L’implication active du citoyen à la vie politique de son arrondissement, de son quartier ou de sa ville est un élément essentiel de son implication dans la vie politique de sa région et de sa nation. C’est à ce niveau que peuvent le mieux s’exprimer ses interrogations, ses opinions et ses aspirations.

Le pouvoir régional

Là où le changement amené par la régionalisation sera encore plus grand et plus significatif, c’est au niveau de la grande région. À l’heure actuelle, comme on l’a souligné, les régions sont des entités purement administratives, sans représentation démocratique, sans pouvoirs réglementaires et sans capacité fiscale. Il s’agit d’en faire de véritables gouvernements régionaux, démocratiques et autonomes.

Voyons ce que cela signifie.

Les structures juridiques

Les territoires régionaux

Nous ne partons pas de zéro: le Québec a été divisé, depuis de nombreuses années, en régions. Dans les années 60, il y en avait dix; il y en a maintenant dix-sept (Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, 2010b). Cette réalité a subi l’épreuve du temps et ne semble pas soulever de contestation. Aux fins de la discussion, nous tenons donc pour acquis que les territoires régionaux actuels pourront servir de base à la régionalisation politique qui est envisagée.

Il faut cependant souligner que certains cas sont particuliers. On pense notamment à la région métropolitaine de Montréal et, dans une moindre mesure, à celle de la Capitale nationale.

Le cas de Québec est le plus simple. Il serait normal, en effet, que la région 03, située sur la rive nord, et la région 12, située sur la rive sud, aient, chacune, leur propre gouvernement régional et que les problèmes particuliers qui se posent, au niveau métropolitain, entre ces deux régions dans le territoire actuel de la communauté métropolitaine de Québec soient réglés, soit au moyen d’ententes organiques entre les deux régions, soit par le maintien révisé des structures actuelles de la Communauté métropolitaine de Québec.

Dans le cas de Montréal, la régionalisation nécessiterait des changements plus importants. On pourrait, cependant, en profiter pour régler une situation qui est actuellement problématique en donnant à la métropole les structures politiques dont elle a besoin pour assurer son dynamisme et son développement, et qui, présentement, lui font cruellement défaut. Ainsi, on pourrait faire en sorte que le territoire régional montréalais soit celui de la Communauté métropolitaine de Montréal, que les régions 06 (île de Montréal) et 13 (Laval) soient intégrées dans la nouvelle région métropolitaine et que le gouvernement régional remplace le Conseil de la CMM. Cela entraînerait évidemment un redécoupage des régions des Laurentides, de Lanaudière et de la Montérégie, et possiblement de la carte des MRC. Laval continuerait à être une ville-MRC, mais ne serait plus une ville-région. Les agglomérations de Montréal et de Longueuil resteraient en place tant que leurs structures ne seraient pas redéfinies dans ce nouveau contexte.

Les gouvernements régionaux

Le gouvernement de chaque région serait exercé par un Conseil régional, élu démocratiquement et ayant ses propres pouvoirs réglementaires et ses propres revenus fiscaux.

Il serait intéressant que le Conseil régional soit élu selon un système de vote proportionnel. Cela permettrait de mieux refléter la diversité sociale et territoriale de la région, tout en assurant une plus grande stabilité dans la composition du gouvernement régional. Cela permettrait également au Québec de se familiariser avec ce mode de scrutin que plusieurs préconisent pour l’ensemble du Québec et d’en apprécier les mérites et les inconvénients. Il est à souligner, par ailleurs, que les structures politiques des gouvernements régionaux n’ont pas à être absolument identiques les unes aux autres et qu’elles pourraient s’ajuster aux caractéristiques démographiques et territoriales de chacune des régions. Ainsi, la région pourrait, ou non, être subdivisée en circonscriptions électorales. Le chef du gouvernement régional pourrait être élu au suffrage universel, ou être choisi par le Conseil régional. Le nombre de conseillers pourrait varier d’une région à l’autre. Le Conseil régional pourrait, ou non, se donner un comité exécutif.

Les règlements du Conseil régional auraient force de loi. Afin d’éviter les conflits et les chevauchements, il appartiendrait à l’Assemblée nationale de régler les rapports entre le niveau local et le niveau régional, et les MRC et les municipalités locales continueraient à dépendre directement du gouvernement québécois, et non du Conseil régional.

Normalement, les élections aux Conseils régionaux auraient lieu simultanément à date fixe, à tous les quatre ans, mais à une date différente de celle des élections locales (par exemple, deux ans après ces dernières). Elles se feraient en vertu de règles semblables à celles qui régissent déjà nos processus électoraux. L’existence de partis politiques régionaux serait permise, mais pas nécessaire — comme c’est le cas actuellement au niveau local.

Les compétences régionales

C’est en fixant la liste des compétences régionales qu’on peut voir toute la différence entre le Québec actuel et un Québec souverain et régionalisé.

Soulignons d’abord que, dans un Québec ayant acquis sa pleine souveraineté, l’Assemblée nationale héritera de toutes les compétences actuellement exercées par le Parlement canadien. Cela sera tout un changement. Ainsi, l’ordre du jour de ses travaux devra désormais comprendre des sujets comme le Code criminel, les télécommunications et les transports, les banques et les institutions financières de même que la défense et les questions internationales, et plusieurs autres. Il va sans dire que tous ces sujets mobiliseront une grande partie de son temps et de ses travaux. Ce qui rendra nécessaire un transfert vers les gouvernements régionaux de matières importantes qui sont présentement traitées au niveau québécois.

Pour faire le choix de ces matières, on peut s’inspirer du principe de subsidiarité qui veut que l’on confie chaque responsabilité publique au gouvernement capable de s’en occuper qui est le plus proche du citoyen. Moins il y aura de distance entre le citoyen et l’exercice d’une fonction, mieux la démocratie s’en portera, plus il y aura de flexibilité dans la définition et l’administration des programmes gouvernementaux, mieux les besoins diversifiés des citoyens seront adéquatement servis. C’est ainsi qu’on peut penser que les compétences des gouvernements régionaux pourraient inclure les matières suivantes:

  • la santé de première ligne, y compris les hôpitaux généraux et les centres d’hébergement;
  • les services sociaux;
  • l’habitation,
  • l’éducation préscolaire, primaire et secondaire;
  • les services de garde publics et privés;
  • le transport en commun et le transport scolaire;
  • la main-d’œuvre;
  • le développement économique régional et l’économie sociale;
  • le tourisme;
  • le commerce, y compris les heures d’ouverture;
  • la chasse et pêche, les zecs et les parcs autres que de conservation;
  • la gestion de la forêt et du plan d’aménagement forestier;
  • l’aménagement, en coordination avec les MRC;
  • la culture et l’implantation et la gestion des équipements culturels;
  • la préservation du patrimoine;
  • la protection de la nature et de l’environnement.

Naturellement, les régions se verraient transférer la propriété des équipements dont ils auraient la responsabilité de gestion.

Sur l’ensemble de ce réaménagement, deux remarques s’imposent. La première concerne le gouvernement national. Il est clair que celui-ci conserverait un droit de regard et d’orientation générale sur les matières confiées aux gouvernements régionaux. Il devrait, au besoin, contribuer à leur financement.

La deuxième remarque concerne les gouvernements locaux (municipalités et MRC). Là aussi, il est clair que la loi devra délimiter précisément les pouvoirs locaux et régionaux dans les matières qui seront de compétence commune afin qu’ils soient harmonisés. Il pourra, par contre, y avoir «interdélégation» volontaire de pouvoirs d’un palier à l’autre.

Dans le Livre blanc sur la décentralisation publié par le gouvernement du Parti québécois en 1995, on prévoyait que le budget de l’ensemble des gouvernements régionaux pourrait atteindre le tiers du budget total du Québec, une fois récupérées les sommes présentement versées à Ottawa. Cela voudrait dire, en date d’aujourd’hui, quelque 30 à 33 milliards de dollars, soit environ la moitié du budget actuel du Québec. On voit donc toute l’ampleur de la décentralisation que permettrait la constitution de véritables gouvernements régionaux vraiment autonomes.

La fiscalité régionale

Pour avoir de vrais gouvernements, les régions doivent avoir leurs propres pouvoirs de taxation. Elles doivent être fiscalement autonomes. Sur quelles sources de taxation pourront-elles compter?

Compte tenu de l’ampleur de leurs besoins, elles devront pouvoir compter sur plusieurs sources de revenus. La première, et la plus naturelle, est l’impôt sur le revenu des particuliers. Afin de simplifier les choses pour les contribuables, un système de «taxe sur taxe» pourrait être mis sur pied, semblable à celui qui a cours actuellement dans les autres provinces canadiennes. Il s’agit, pour chaque région, d’imposer un impôt égal à un pourcentage de l’impôt qui est payable à Québec; cet impôt serait perçu par l’Agence du revenu du Québec et remis à la région qui l’a imposé. Il n’y aurait donc qu’une seule déclaration de revenus à remplir par le contribuable. Le pourcentage de l’impôt régional pourrait évidemment varier d’une région à l’autre, mais à l’intérieur de limites fixées par Québec.

Toujours à l’intérieur de limites fixées par Québec, une région pourrait également imposer une taxe sur les biens et services. Cette taxe serait également perçue par Québec et remise à la région qui l’a imposée.

Il est à remarquer que de telles taxes régionales ne feraient que remplacer les taxes semblables qui sont imposées à l’heure actuelle par le gouvernement fédéral. Le fardeau fiscal du contribuable québécois n’en serait donc pas augmenté. Il pourrait même être diminué, dans la mesure où le nouveau système fiscal serait plus efficace et plus juste. On doit souligner, à cet égard, que les Québécois paient déjà, à l’heure actuelle, quelque 22G$ en impôt fédéral sur les particuliers, et quelque 7,5G$ en TPS, ce qui, ensemble, pourrait combler la quasi-totalité des budgets régionaux.

Par ailleurs, étant donné que la richesse fiscale varie d’une région à l’autre, un système de péréquation devrait être mis en place par lequel l’État québécois ferait des transferts financiers compensatoires aux régions moins riches, de façon à ce que tous les Québécois puissent avoir accès à la même qualité de services, quelle que soit la région où ils vivent.

La mise en place de la régionalisation

Nous avons décrit jusqu’à maintenant ce que pourrait vouloir dire une véritable régionalisation d’un Québec souverain. Il s’agit, précisons-le, d’une illustration, non d’un projet tout ficelé. Au contraire, la mise en place d’un tel système décentralisé devra se faire avec la participation active des milieux régionaux. C’est aux régions elles-mêmes qu’il revient de définir comment elles veulent s’insérer dans la gouverne du Québec nouveau.

La mise en place de la régionalisation doit donc commencer par une vaste opération de consultation et de discussion publiques.

Une telle opération implique des discussions approfondies avec les habitants et les organismes de chacune des régions. Il ne s’agit pas de simples consultations conduites par une commission parlementaire ou une commission d’enquête; il s’agit plutôt d’un véritable exercice de démocratie participative. Un exercice de ce genre a précédé la mise sur pied, en 1978, de la centaine de MRC créées dans le cadre de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. La première étape de ce processus pourrait être la publication d’un livre blanc dans lequel le gouvernement proposerait une esquisse de la régionalisation envisagée, énoncerait les principaux principes à respecter et soulèverait un certain nombre de questions auxquelles chaque région serait appelée à répondre. On y préciserait également le processus de participation qui serait suivi pour mettre en œuvre cette régionalisation. Ce livre blanc serait publié sous la responsabilité d’un ministre spécifiquement nommé pour prendre la charge de la régionalisation du Québec.

Le ministre responsable de la régionalisation mettrait alors en place un groupe directeur, composé d’un mandataire gouvernemental, de fonctionnaires et d’experts. Ce groupe se rendrait dans chacune des régions afin de rencontrer, dans des réunions de travail, les organismes représentatifs des différents milieux régionaux (politiques, économiques, sociaux, culturels, etc.) ainsi que les citoyens de la région dans des assemblées publiques.

Lors de ces rencontres, le groupe directeur discuterait avec les intervenants de leurs préférences quant aux modalités de la régionalisation qui pourraient s’appliquer à leur région. Par exemple, quels devraient être les compétences dévolues à la région? Quels devraient être ses pouvoirs fiscaux? Souhaiterait-on que le chef du gouvernement régional soit élu au suffrage universel ou nommé par les membres du Conseil régional? Combien de membres devraient être élus au Conseil régional? Devrait-il y avoir ou non, à l’intérieur de la région, des circonscriptions électorales pour l’élection des membres du Conseil régional?

De toutes ces discussions émergeraient sans doute des points de convergence et des points de divergences, qui feraient l’objet d’un rapport du groupe directeur remis au ministre responsable de la régionalisation, qui le rendrait public. Cela permettrait alors à la discussion de se poursuivre au niveau national. À cette étape, une commission parlementaire pourrait être appelée à recevoir les représentations des citoyens et des groupes sur le rapport du groupe directeur. Puis, à la lumière des travaux de la commission parlementaire, le gouvernement serait en mesure de préparer et de déposer à l’Assemblée nationale un projet de loi mettant en œuvre la régionalisation du Québec.

Tout au long de ce processus, on pourrait mettre à l’essai l’utilisation des nouveaux moyens électroniques de dialogue social, comme cela se fait présentement en Islande pour la rédaction d’une nouvelle constitution.

On voit donc qu’il s’agit ici d’un processus long et complexe, qui prendra du temps et qui ne peut pas s’improviser à la dernière minute. C’est pourquoi il importe que le gouvernement québécois prépare la régionalisation en même temps qu’il préparera la souveraineté du Québec. Les deux opérations, d’ailleurs, vont de pair. Sous peine de subir un encombrement bureaucratique inextricable, il ne peut y avoir de souveraineté sans décentralisation politique en faveur des régions. Mais il ne peut y avoir de décentralisation véritable que dans un Québec souverain. C’est ce que nous allons voir maintenant.

La souveraineté: une condition préalable

La régionalisation que nous avons décrite ci-dessus exigera que le Québec transfère aux régions la responsabilité de sujets qui, dans le régime actuel, sont au cœur de la vie politique québécoise: santé de première ligne, éducation primaire et secondaire, réseau de garde, main d’œuvre, etc. Au total, le Québec devrait transférer aux régions près des deux tiers du budget qu’il consacre actuellement aux programmes relevant de l’Assemblée nationale. Il est clair que jamais le Québec ne consentira à s’amputer de la sorte de ses ressources et responsabilités s’il ne reçoit pas, en échange, des pouvoirs et des ressources qui, à l’heure actuelle, sont l’apanage du gouvernement fédéral. Il serait irresponsable de la part du Québec de se faire ainsi hara-kiri et de laisser le champ libre au gouvernement fédéral de le court-circuiter en faisant affaire directement avec les régions, comme il réussit déjà à le faire avec les grandes municipalités en matière d’infrastructures ou avec les universités en matière de recherche. D’ailleurs, quel poids resterait-il au gouvernement québécois dans ses discussions avec le gouvernement fédéral s’il s’était dépouillé de ses prérogatives dans ces domaines cruciaux qui font précisément l’objet des principales discussions fédérales-provinciales?

L’autorité politique du gouvernement québécois serait considérablement amoindrie si les sujets qui préoccupent le plus les citoyens québécois étaient dorénavant de la responsabilité des régions, sans que d’autres sujets d’intérêt national viennent les remplacer à Québec. Si la guerre et la défense, les communications et les médias, l’avortement, l’euthanasie et le droit criminel, le transport aérien, ferroviaire et maritime, la monnaie et les banques, les relations extérieures et le commerce international continuent de se discuter à Ottawa; et si la santé et l’urgence dans les hôpitaux, le décrochage scolaire et le réseau des garderies se discutent dorénavant dans les régions; qui s’intéressera à ce qui se passe à Québec? Les Québécois seront privés de leur gouvernement national.

Cela est impossible et cela n’est pas souhaitable. C’est pourquoi il faut bien comprendre qu’il ne peut y avoir de véritable décentralisation des pouvoirs en faveur de nos régions que dans un Québec qui exerce l’ensemble des pouvoirs d’un État, c’est-à-dire dans un Québec souverain.

Cela étant dit, rien n’empêche de préparer le terrain même avant la souveraineté. Comme on l’a dit, la mise en place d’un tel réaménagement politique est complexe et prendra du temps. Il pourrait dès lors être intéressant de faire une ou deux expériences pilotes pour amorcer la réflexion et tester certaines hypothèses. On pourrait, par exemple, désigner, avec le consentement des intéressés, une ou deux régions où on mettrait en branle le processus décrit ci-haut. La liste des pouvoirs décentralisés pourrait, au début, être plus limitée et le financement pourrait rester provisoirement à la charge de Québec. Mais cela permettrait d’illustrer plus clairement ce que pourrait être une véritable régionalisation et les avantages qui en découleraient pour les citoyens dans un Québec souverain.

Car il vaut la peine de souligner, en terminant, que la possibilité de procéder à une véritable décentralisation des pouvoirs et des ressources en faveur de nos régions est un argument puissant pour convaincre les Québécois que la souveraineté est non seulement souhaitable, mais nécessaire. Trop souvent, la souveraineté est vue comme un simple échange de pouvoirs entre deux bureaucraties: on ne voit pas qu’en récupérant les pouvoirs exercés à Ottawa, c’est l’ensemble des pouvoirs de l’État qu’on rapproche ainsi des citoyens et que c’est la démocratie québécoise qui s’en trouvera grandement renforcée.

En réalité, ce sont les citoyens québécois eux-mêmes qui, par la souveraineté, obtiendront plus de pouvoirs sur leurs affaires publiques. Ce sont eux qui, directement, profiteront de l’accroissement des pouvoirs que permettra la souveraineté. Plus de pouvoirs sur les matières qui, présentement, se discutent à Québec et qui, dorénavant, se discuteront dans leur région; et plus de pouvoirs sur les matières qui, à l’heure actuelle, se discutent à Ottawa dans un Parlement où ils sont en forte minorité, et qui se discuteront désormais à Québec dans une Assemblée nationale qu’ils contrôleront entièrement.

Si les Québécois comprennent que la souveraineté leur assurera un pouvoir démocratique accru sur un grand nombre de questions qui les touchent de près, ils comprendront mieux pourquoi toutes les nations du monde tiennent tant à leur souveraineté. Un Québec souverain est un Québec plus démocratique.

C’est pourquoi préparer la régionalisation, c’est préparer la souveraineté. Et vice versa.

Références

  • Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (2010a). L’organisation municipale et régionale au Québec en 2010.
  • Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (2010b). Le portrait des régions. (http://www.mamrot.gouv.qc.ca/developpement-regional-et-rural/portrait-des-regions)
  • Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (2006). L’organisation municipale du Québec.
  • Gouvernement du Québec (1995). Livre blanc sur la décentralisation.