Ouvrage:Forger notre avenir/Blocages des institutions et de la constitution

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Contributeur initial Commission des États généraux sur la souveraineté


Extrait de: Forger votre avenir


Introduction

En dépit du fait qu’à ce jour les Québécois n’ont jamais ratifié la Constitution canadienne de 1982 et qu’ils n’ont même jamais été consultés sur les différents régimes constitutionnels qui les ont régis depuis 1760, le peuple du Québec et son Assemblée nationale continuent néanmoins à être soumis à un texte « fondateur » établi par le Canada contre la volonté du Québec et spoliant une partie de ses pouvoirs. Dans cette Constitution, le Québec est une province (« territoire conquis », « partie d’un pays », « division administrative ») et non pas une nation. Ses pouvoirs limités sont ceux définis et imposés par les dominants. S’il lui a été concédé d’avoir une prise importante dans quelques domaines essentiels pour la destinée de son peuple, tels l’éducation, la culture et la santé, la majorité des pouvoirs relevant des fonctions de l’État continuent de lui échapper. C’est, en effet, au gouvernement du Canada que reviennent, selon l’article 91 de la Constitution, les pouvoirs suivants : assurer la défense du pays (à travers les Forces canadiennes); contrôler la monnaie (par la Banque du Canada), les banques, les transports maritime, aérien et ferroviaire; légiférer en matière criminelle (Code criminel); octroyer la citoyenneté; traiter des relations internationales.

Ces pouvoirs qui sont au cœur de la vie d’un peuple échappent totalement au contrôle des élus de l’Assemblée nationale. Dans tous ces domaines, le peuple québécois doit se soumettre aux décisions du gouvernement central du Canada dont les intérêts nationaux ne coïncident pas régulièrement avec les siens. C’est un gouvernement — que nous élisons de moins en moins, du seul fait de notre poids démographique — qui décide au nom du peuple québécois.

Un peuple privé du contrôle de ses institutions

1. Depuis l’adoption de la loi constitutionnelle de 1982 et de la Charte canadienne des droits et libertés qui lui a été jointe, la promotion des droits individuels se fait aux dépens des droits collectifs de la nation québécoise, comme en témoignent les 200 amendements à la loi 101, imposés par les juges de la Cour suprême que nomme le Canada et parmi lesquels il s’en trouve toujours des unilingues anglais.

2. La loi constitutionnelle de 1982 consacre le multiculturalisme (article 27 de la Charte canadienne des droits et libertés) comme « idéologie officielle » de l’État canadien, encourageant son effet ghettoïsant qui dessert l’intégration des communautés culturelles à la nation québécoise. À leur égard, le Québec n’est pas en mesure de construire une identité déterminée par les valeurs qu’il privilégie.

3. La poursuite de la laïcisation des institutions publiques est susceptible de se heurter aux valeurs canadiennes et, notamment, « à l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens » et à la reconnaissance de la « suprématie de Dieu » (préambule de la Charte canadienne des droits et libertés). Une Charte de la laïcité, telle celle dont on parle au Québec, pourra être contestée devant la Cour suprême qui devra rendre un jugement en fonction de la loi constitutionnelle canadienne que le Québec n’a jamais approuvée.

4. Le Québec n’est pas en mesure de procéder à un réaménagement significatif de ses institutions politiques. Il ne peut modifier la charge du lieutenant-gouverneur ni mettre fin aux régimes monarchique et parlementaire britanniques. Il lui est impossible d’instituer un système de type présidentiel sans un amendement constitutionnel, à moins de répudier la Constitution canadienne.

5. Il est également impensable que le Québec puisse modifier de façon significative le partage des responsabilités entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, par exemple, pour assurer un meilleur équilibre entre la protection des droits individuels et des droits collectifs. Il n’est pas non plus concevable qu’il crée une Cour suprême dont il pourrait nommer les juges et à qui serait confiée la responsabilité d’appliquer, à titre exclusif, le droit civil québécois.

6. Le Québec pourrait par ailleurs adopter sa propre Constitution interne, mais il ne serait pas en mesure d’y inclure des dispositions allant à l’encontre de la Constitution du Canada. Un blocage démocratique de premier ordre. Tant que les Québécois font partie du Canada, les choix constitutionnels du Québec et ses institutions démocratiques sont soumis à la volonté du Canada et de sa majorité.

7. Depuis la loi constitutionnelle de 1982, imposée unilatéralement au Québec, le régime canadien, d’une quasi-fédération à sa création en 1867, a évolué de plus en plus vers un régime « unitaire », c’est-à-dire plus centralisé, à l’encontre des volontés de la très grande majorité des Québécois. En effet, au fil des ans, la pratique constitutionnelle canadienne, contrairement à ce qui devrait prévaloir dans une véritable fédération, est venue consacrer la suprématie du gouvernement central sur celui du Québec et reconnaître aux pouvoirs fédéraux une étendue plus grande que ne le prévoyait explicitement la Constitution de 1867.

8. Cette centralisation s’appuie sur différents mécanismes : certains, utilisés au début, ne le sont plus, alors que d’autres le sont toujours. Les jugements de la Cour suprême ont remplacé, dans les faits, le droit de désaveu qui permettait, dans la Constitution canadienne de 1867, au gouvernement fédéral d’invalider des lois provinciales. Le pouvoir déclaratoire, quant à lui, autorise le gouvernement central du Canada à modifier la sphère de compétence d’un gouvernement provincial dans le cas de travaux dits « à l’avantage général de la fédération ». Le pouvoir de « paix, ordre et bon gouvernement », en décrétant l’état d’urgence, a permis à Ottawa de suspendre les libertés civiles et d’emprisonner plus de 450 personnes dont plusieurs artistes et poètes lors de la crise d’Octobre 1970. Le « pouvoir de dépenser », un pouvoir régulièrement exercé, par lequel le gouvernement central du Canada s’arroge le droit d’intervenir dans des sphères de compétences exclusives des provinces, fait en sorte que le Québec est continuellement entravé dans l’exercice de ses pouvoirs, les fonctionnaires de l’État canadien appliquant des mesures bureaucratiques « from coast to coast ».

9. Dans la Constitution canadienne, le partage des compétences prive le Québec de compétences majeures (transports maritime, ferroviaire et aérien, défense et armements, relations internationales, ouvrages interprovinciaux, etc.) et handicape sa capacité d’action, tant sur le plan budgétaire que réglementaire. La clause des compétences résiduaires prévoit que tout ce qui n’est pas prévu dans la Constitution de 1867, notamment la radio, la télévision et les télécommunications, relève de l’État canadien. Les champs de compétences partagées, tels l’agriculture et l’environnement, sont par ailleurs soumis à la règle de la prépondérance fédérale.

10. Pour les autres provinces, cette centralisation accrue vers l’État canadien ne pose pas de problème, car elle s’est également accompagnée d’un processus de construction identitaire (« nation building »). Par ce processus, la nation canadienne-anglaise, de simple entité quasi fédérale avec ses identités locales très fortes au moment de la création du Canada, en est venue à se concevoir graduellement comme une nation et à voir, dans le gouvernement central du Canada, « son » gouvernement national responsable de la gouvernance de la nation « canadienne ». Dans cet univers symbolique, le Québec occupe une place insignifiante, ce dont témoigne la reconnaissance en 2006 par la Chambre des communes du fait que les « Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni », un énoncé sans portée constitutionnelle.

L’impossible amendement de la constitution canadienne

11. Le Québec cherche à obtenir des modifications importantes à l’ordre constitutionnel canadien, entre autres, un réaménagement du partage des compétences de façon à assumer librement son développement économique, social et culturel. De fait, depuis la loi constitutionnelle de 1867, le gouvernement du Canada n’a fait aucun transfert de compétences au Québec et un seul s’est fait, mais en direction de l’État canadien, l’assurance-chômage en 1949. On note, par ailleurs, une modification constitutionnelle par entente bilatérale (changement du statut confessionnel en statut linguistique des commissions scolaires) et deux ententes administratives dans les domaines de l’immigration et de la formation de la main-d’œuvre, qui ne changent rien au partage des compétences constitutionnelles.

12. Depuis 1982, les amendements à la Constitution sont verrouillés à double tour, nécessitant l’accord de sept provinces représentant plus de 50 % de la population canadienne. C’est sur cet écueil que le projet d’entente du lac Meech s’est heurté, en 1990, même en dépit de très faibles accommodements pour le Québec.

13. Plus profondément, toute tentative d’amendement rendant justice au Québec échoue et échouera par l’opposition des trois-quarts de la population du reste du Canada, dont aucun politicien fédéral ou fédéraliste, même bien intentionné, ne peut sous-estimer la force. Plusieurs sondages, dont celui réalisé en 201022, donnent des résultats percutants : • Bien qu’une très forte majorité de Québécois (82 %) souhaitent que le Canada amorce une nouvelle ronde de négociations afin de trouver une entente constitutionnelle satisfaisant le Québec, plus de six Canadiens sur dix (61 %) se disent en désaccord avec cette idée. • Près de trois Québécois sur quatre (73 %) sont d’accord avec un nouveau partage des pouvoirs et des ressources entre Québec et Ottawa, alors que 71 % des Canadiens sont en désaccord. • Tandis que, dans une proportion de 82 %, les Québécois sont d’avis que le gouvernement québécois devrait disposer de plus de pouvoirs pour protéger la langue et la culture françaises sur son territoire, 69 % des Canadiens se disent en désaccord.

Québec province ou Québec pays ?
Que diriez-vous si, pour la première fois de leur histoire, les Québécois, majoritairement, démocratiquement, mettraient fin à l’impasse constitutionnelle et se donnaient, comme tous les autres peuples, une constitution, un régime politique et des institutions, décidées par eux, conformes à leurs valeurs et à leurs choix de société ?