Ouvrage:Forger notre avenir/Blocages économiques et environnementaux

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Contributeur initial Commission des États généraux sur la souveraineté


Extrait de: Forger votre avenir

Introduction

La crise économique, qui est aussi environnementale et sociale, a démontré le caractère indispensable des États nationaux. Suite à une longue période de dérèglementation néolibérale responsable de la crise, les interventions gouvernementales aux États-Unis, en Europe et ailleurs, ont empêché l’économie mondiale de s’écrouler. Au Canada, le gouvernement canadien n’a pas pris en compte les besoins du Québec préférant sauver l’industrie automobile ontarienne, tout en continuant sa construction nationale et son développement vers l’Ouest. Les intérêts économiques de la majorité « canadian » diffèrent de ceux du Québec, que ce soit dans l’exploitation des richesses naturelles et de l’énergie, l’environnement, le développement industriel, le transport ou le commerce extérieur. Le Québec est bien positionné pour l’après-pétrole à cause de ses énergies renouvelables. Mais le Canada pétrolier a des intérêts divergents de ceux du Québec, lequel est privé de sa capacité budgétaire et des moyens de concerter des politiques et des acteurs au service du développement de son économie, d’un développement durable et de l’emploi.

Des intérêts énergétiques en conflit

1. Pour créer sa richesse, le Québec est prisonnier des intérêts canadiens qui misent sur l’exportation du pétrole issu des sables bitumineux. L’impact des investissements dans les sables bitumineux sur le produit intérieur brut (PIB) des provinces est de 72 % pour l’Alberta et de 1 % pour le Québec[1]. Depuis le 25 septembre 2009, la fondation Suzuki tient le compte des subventions aux compagnies pétrolières[2], lesquelles totalisent plus de 2 milliards $, montant dont les Québécois paient leur 20 % et qui augmente chaque jour.

2. Le gouvernement canadien a investi, depuis 40 ans, au minimum 14 milliards $ des fonds publics dans le développement des hydrocarbures[3] et, depuis 30 ans, quelque 6 milliards $ dans le développement du nucléaire en Ontario, alors que les Québécois ont assumé seuls leur développement hydroélectrique. Le Québec finance, par nos impôts versés au gouvernement canadien, plus de 20% des fonds redistribués.

3. Le gouvernement central du Canada a offert à Terre-Neuve des garanties sur un emprunt de 4,2 milliards $ pour la réalisation d’un câble sous-marin pour le transport de l’électricité entre cette province et la Nouvelle-Écosse. Terre-Neuve pourra donc concurrencer le Québec pour la vente d’électricité sur le marché américain avec l’aide du gouvernement canadien.

4. Le Québec n’a pas de véritable contrôle sur l’exploitation du pétrole et du gaz dans le golfe Saint-Laurent, notamment, pour ce qui est du réservoir Old Harry que Terre-Neuve veut exploiter. Ainsi, le gouvernement Charest a accepté que soit créé un office Canada-Québec pour la gestion conjointe des hydrocarbures dans le golfe en vue de réglementer ce nouveau secteur d’activités extracôtières[4]. Il s’agit, de la part du gouvernement central canadien, d’une intrusion dans un secteur qui devrait être clairement et distinctement de compétence québécoise selon la Constitution.

L’environnement et le développement durable battus en brèche

5. Dans le but de réduire le réchauffement climatique, le protocole de Kyoto visait à renverser une situation, celle où il était payant de polluer. Avec l’application rigoureuse de ce protocole international au Canada, le Québec aurait eu un avantage économique significatif du fait de la prépondérance de ses énergies propres et renouvelables. Or, le retrait du Canada du protocole de Kyoto, malgré l’opposition du Québec, annihile cet avantage concurrentiel.

6. L’enviable bilan de l’année de 2009, qui pourrait encore être amélioré au chapitre du transport selon plusieurs groupes environnementaux, confirme les efforts de Québec en matière de lutte contre les changements climatiques. En effet, le Québec a réduit de 12,8% ses émissions par rapport à la cible de 1990. Le choix du Canada de privilégier l’année 2005 comme date de référence pour le calcul des réductions des gaz à effet de serre (GES) risque de priver les entreprises québécoises de crédits de carbone. Ce choix contribue ainsi à leur enlever ce qui aurait pu être un avantage concurrentiel. Les entreprises et les contribuables québécois devront payer le prix de la pollution canadienne si des pays, comme l’Europe s’apprête à le faire, décident de mettre une taxe sur les produits des pays qui ne respectent pas Kyoto.

7. Sous l’angle de l’environnement, le Québec dépend largement des politiques environnementales du gouvernement central du Canada (ou de leur absence). Or, ce gouvernement envisage d’édenter radicalement la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE) sans reconnaître formellement au Québec une juridiction sur les projets canadiens, à moins que le Québec n’adopte pour les grands projets miniers, nucléaires ou de pipelines des règles d’évaluation comparables aux siennes. Comble d’ironie, c’est l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) qui déterminera quelles provinces pourront diriger l’évaluation des projets relevant de la compétence du Canada sur leur territoire. En bref, « faites le travail comme nous vous le demandons et si la décision ne fait pas notre affaire, nous nous réservons le droit de décider d’approuver ou non le projet que vous aurez évalué ». Drôle de transfert de responsabilité!

8. Un exemple concret de ce qui précède est l’East Coast Pipeline Project. Dans ce projet, on vise à inverser le pipeline Montréal-Sarnia pour faire couler 625 000 barils de pétrole des sables bitumineux par jour vers Montréal et ensuite, acheminer le pétrole albertain, possiblement par bateaux, sur le fleuve Saint-Laurent avec les risques accrus que cela comporte pour l’environnement au Québec, comme il en est avec la décision de la Commission canadienne de la sécurité nucléaire (CCSN) de permettre à l’entreprise Bruce Power de transporter par le fleuve Saint-Laurent les déchets radioactifs des centrales nucléaires de l’Ontario.

Richesses naturelles : une transformation industrielle entravée

9. Les ressources naturelles du Québec sont grandement convoitées en raison des nouveaux besoins, notamment, des pays à forte croissance, tels que la Chine et l’Inde. À titre d’exemple, le prix du fer a été multiplié par 10 ces dernières années, ce qui explique les projets d’extraction qui se sont développés ou se sont accélérés dans le Nord québécois. Un véritable développement des ressources naturelles au bénéfice des Québécois requiert une politique — globale et complète — industrielle, environnementale, de l’aménagement du territoire et du transport dont plusieurs des outils échappent au Québec (ports, chemins de fer, etc.).

10. Les pêcheries et l’industrie de transformation des espèces marines sont l’une des richesses menacées du Québec par les politiques antienvironnementales du gouvernement central du Canada et son hégémonie sur la gestion des eaux internationales, de la navigation, des pêcheries et des ressources énergétiques en mer. Récemment, une vague de fond de 625 chercheurs et spécialistes de la biologie marine s’est opposée au projet du gouvernement canadien d’affaiblir la Loi sur les pêches en y faisant disparaître l’interdiction historique d’altérer l’habitat du poisson [5].

11. En matière d’agriculture et d’alimentation, nos systèmes de gestion de l’offre (système dit des « quotas » en production agricole) sont sous le contrôle du Canada. Comme dans le cas de la Commission canadienne du blé, le Canada pourrait mettre fin à la gestion de l’offre sans que le Québec ait son mot à dire. Le gouvernement canadien s’intéresse principalement à la production agricole céréalière de l’Ouest, laquelle, axée sur l’exportation, nécessite davantage de subventions. Ainsi, le Québec reçoit moins de 10 % des subventions du gouvernement central du Canada en agriculture et 3,7 % des dépenses en biens et services du ministère canadien qui, lui, dédouble celui du Québec. Pendant que Québec donne priorité aux programmes d’aide financière à la relève agricole, un besoin criant au Québec, le gouvernement central du Canada préfère, lui, faire distribuer quelques millions de dollars par l’Union des producteurs agricoles (UPA) pour des « initiatives collectives novatrices».

12. La forêt et l’industrie forestière sont, quant à elles, hors des préoccupations prioritaires du gouvernement canadien. Pour preuve, voyons son budget de 2010 où les Québécois ont contribué au minimum pour près de 2 des 10 milliards $ consacrés au renflouage de l’industrie automobile ontarienne. Pendant ce temps, l’industrie de la forêt au Québec, plongée dans une crise qui dure depuis cinq ans, a reçu au maximum 70 millions $ du gouvernement central canadien (0,7%). Son dernier budget, hélas, a largement confirmé cette tendance.

Commerce extérieur : des orientations divergentes

13. Le commerce interprovincial au Canada est marqué par l’historique des décisions du gouvernement canadien, décisions qui ont eu pour résultat de concentrer systématiquement en Ontario l’industrie automobile, les services financiers et la pétrochimie. La conséquence est qu’en matière de commerce interprovincial la balance commerciale des biens et services de l’Ontario, soit l’écart entre ce qu’elle exporte et ce qu’elle importe des autres provinces, est en moyenne excédentaire de 26,8 milliards $ par année (entre 2005 et 2009), alors que le Québec, pour sa part, est déficitaire de 1,8 milliard $ [6].

14. Globalement, la balance commerciale du Québec avec l’extérieur est passée de positive, soit 5 milliards $, en 2002, à négative, de 2004 à 2010, soit une moyenne de 11 365 milliards $ par année[7]. Le coût des importations pétrolières au Québec en est la principale cause. Il représente actuellement une somme de plus de 15 milliards $ et devrait augmenter substantiellement dans un contexte de plafonnement de la production pétrolière mondiale et d’augmentation continue de la demande par les grands pays en croissance rapide (Chine, Inde, etc.). Or l’intérêt du gouvernement canadien est de continuer à vendre du pétrole. Inutile de dire qu’une politique d’indépendance énergétique québécoise, libérant les Québécois du poids du pétrole, aura peu d’audience à Ottawa.

15. Le gouvernement du Canada a commencé à mettre en œuvre une réorientation commerciale, proposée, notamment, par le Conseil international du Canada, vers l’Asie et le Pacifique [8]. Aussi le gouvernement canadien discute-t-il actuellement d’accords de libre-échange avec certains pays, comme la Thaïlande et le Japon. Bien que cette réorientation ne soit pas contraire aux vues du Québec, elle pourrait cependant fortement contribuer à déplacer encore plus le centre de gravité économique vers l’Ouest, car elle sera nécessairement portée par la priorité canadienne de la vente de pétrole. De plus, pour nouer des ententes pays par pays, le gouvernement central du Canada devra mettre à mal les systèmes de gestion de l’offre qui protègent l’agriculture du Québec, sans que celui-ci ait voix au chapitre. Le Québec, réduit au rang de spectateur, sera appelé à payer une partie de la facture.

16. Dans la même veine, lors des discussions actuelles sur le traité d’accord économique et commercial Canada-Europe, comme d’habitude, le représentant du Québec est réduit à pratiquer une diplomatie de corridor. Or ce traité présente des risques majeurs, notamment, quant à la capacité du gouvernement du Québec de mettre en place des politiques qui privilégient l’accès des entreprises québécoises aux contrats des services publics et la protection de certaines activités économiques, comme l’agroalimentaire. Compte tenu du déplacement de l’économie canadienne vers l’Ouest et du fait que seul le gouvernement canadien a les pouvoirs de négocier et de signer les traités internationaux de libre-échange, il est évident que le Québec est piégé.

La politique de l’emploi et la concertation bloqués

17. Le chômage présente un coût énorme pour les personnes visées et également pour les revenus de l’État qui servent entre autres choses à assurer la solidarité sociale et l’appui au développement économique. Dans les années 1980, les économistes Diane Bellemarre et Lise Poulin ont évalué que chaque diminution de 1 % du taux de chômage augmente de 2 % le produit intérieur brut (PIB) d’un pays [9]. Mais, dans le Canada, le Québec, avec son statut de province, est privé d’une partie de sa marge de manœuvre budgétaire, du contrôle de certaines politiques économiques et de la capacité d’intervention internationale de plus en plus précieuse pour mettre en œuvre une politique de l’emploi complète, comme les pays normaux le font.

18. La concertation socioéconomique des acteurs gouvernementaux, patronaux, syndicaux et institutionnels est un autre élément-clé d’une politique de l’emploi qui tient compte de l’économie du savoir du 21e siècle axée sur l’informatisation, les communications, l’innovation, les énergies propres et renouvelables, les nouveaux modes de production, la formation et le travail à distance dans un contexte toujours plus mondialisé. Or, en système canadien, la concertation efficace au Québec requiert que le gouvernement central du Canada soit à la table. Ce qui n’est pas toujours le cas. Et quand il l’est, c’est avec ses propres priorités, souvent contraires à celles du Québec

Québec province ou Québec pays ?
Que diriez-vous si, au lieu des aides fiscales consenties aux pétrolières albertaines à même nos propres impôts, que nous investissions plutôt dans le développement d’énergies propres et renouvelables, au bénéfice du Québec et de l’environnement mondial? Que diriez-vous si, au lieu des avions et des frégates militaires que le Canada nous impose d’acheter avec nos propres impôts, que nous nous dotions d’un monorail électrique interurbain, non polluant, innovateur et tout aussi créateur d’emploi? Que diriez-vous, au lieu d’aider le secteur automobile ontarien avec nos propres impôts, que nous fassions revivre le secteur forestier québécois, qui est plein d’avenir mais qui manque d’appui gouvernemental? Et que diriez-vous si nous prenions notre place dans l’économie du savoir, en relançant la concertation socioéconomique de tous les acteurs et en concentrant tous nos moyens à faire tourner la roue dans l’autres sens, au service de l’emploi ?

Notes et références