Ouvrage:L’indépendance, maintenant !/Immigration et citoyenneté

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Contributeur initial Micheline Labelle


Introduction

En 2010, on évaluait à 3 % de la population mondiale le nombre d’immigrants internationaux. La migration de travailleurs qualifiés ou peu qualifiés est l’une des cinq composantes de la mondialisation avec le commerce des biens et services, les investissements étrangers et les délocalisations, la finance et les mouvements de capitaux, les flux internationaux de technologie et de connaissance. Toutefois, elle est souvent omise dans les analyses de la mondialisation (Mouhoub, 2005, p. 27). Une autre catégorie importante concerne les personnes déracinées dans le monde. Cela comprend des réfugiés (15,4 millions), des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (27,5 millions), des demandeurs d’asile (près de 850 000) et des personnes apatrides; au total 43,7 millions en 2010. Or, en dépit des craintes inspirées par les réfugiés dans les pays industrialisés, 80 % des réfugiés aujourd’hui vivent dans des pays « pauvres » (UNHCR, 2010).

La nouvelle immigration internationale résulte de plusieurs types de changements : l’effondrement de l’Union soviétique, les conflits armés dans plusieurs régions du monde (Irak, Afrique, Afghanistan) et les désastres naturels. Elle dépend également de l’accroissement des inégalités à l’échelle mondiale, de l’action des sociétés multinationales qui supplantent les petits producteurs locaux, des accords de libre-échange, du recrutement planifié de travailleurs temporaires et des réseaux familiaux de migration (Sassen, 2000; Wihtol de Wenden, 2009; Castels, 2010; Portes, 2010). Les migrations « correspondent à plusieurs logiques différentes de la mondialisation : les migrations de diplômés et de personnels qualifiés s’insèrent dans une logique de division cognitive du travail dans le contexte de la montée d’une économie fondée sur le savoir » (Mouhoud, 2005, p. 3). Elles se font dans toutes les directions, sud-nord, intrarégionales, etc.

Autre phénomène, la mondialisation, la croissance urbaine et l’immigration internationale sont des processus interreliés. On parle aujourd’hui de « cités globales » qui sont des centres de commande et de contrôle du capital mondial ainsi que des centres de destination pour une large proportion de migrants. C’est le cas au Québec, où 88 % des immigrants internationaux se concentrent dans la grande région de Montréal.

Au recensement de 2006, le Québec comptait 7,6 millions d’habitants, dont 11,6 % sont nés à l’étranger. En comparaison, la proportion d’immigrants au Canada est de 20 %, de 12 % aux États-Unis et de 4,4 % au Royaume-Uni. On dénombre au Québec 150 langues et plus de 200 religions. L’islam est en nette progression, mais les musulmans ne représentent que 1,5 % de la population (Labelle, 2008, p. 45).

Le Québec a accueilli près de 54 000 personnes en provenance de 185 pays en 2010. Les immigrants hyper qualifiés sont présents dans les PME (secteurs non syndiqués; secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication, comme le support informatique, le Web, les médias, etc.), dans les grandes organisations (Hydro-Québec, STM, SAQ) et dans les entreprises multinationales (Bombardier, SNC-Lavallin, ABB). Toutes les organisations syndicales (CSQ, FTQ, CSN) sont concernées par l’insertion des immigrants dans les milieux de travail, leur syndicalisation et leur égalité au sein de leurs propres rangs.

Le multilinguisme est fréquent chez les immigrants, et leurs liens transnationaux ouvrent toutes sortes de fenêtres d’opportunité (commerce, tourisme, industrie, technologies de l’information). Selon le gouvernement du Québec, l’immigration doit contribuer « au développement durable du Québec et de ses régions, dans le respect des valeurs communes » (Québec, MICC, 2011a, p. 3). Cela signifie que l’immigration internationale constitue un atout économique et a un impact sur l’innovation (élargissement de l’expertise québécoise sur la scène internationale, accès aux marchés étrangers, investissement et création d’entreprises, apport de main d’œuvre dans des secteurs de pointe, etc.). Elle représente aussi une économie sur la formation de la force de travail et sa reproduction, effectuées dans les pays d’origine, ce que maintes études ont démontré depuis des décennies.

Cependant, l’immigration contribue également à renforcer la segmentation du marché du travail par l’utilisation de travailleurs à bon marché et à statut vulnérable (travailleurs temporaires, sans papiers), échappant souvent aux normes du travail ou acceptant des tâches qui rebutent aux nationaux. Des mesures de protection des droits contre l’exploitation et la discrimination sont donc hautement nécessaires. La hausse du chômage depuis 2008 est plus élevée pour les immigrants que pour les natifs dans presque tous les pays de l’OCDE. En 2009, le taux de chômage des jeunes était de 15 % aux États-Unis, de 20 % au Canada et de 24 % pour l’Union européenne (SOPEMI, 2010).

Quant aux politiques d’immigration et d’intégration, elles deviennent de plus en plus complexes et contradictoires, les États poursuivant des objectifs souvent irréconciliables; par exemple l’approvisionnement en main-d’œuvre, le contrôle des migrants temporaires, la lutte contre les migrations irrégulières, le droit d’asile et la sécurité, l’attribution de la citoyenneté et la redéfinition de l’identité nationale. À ce propos, ces politiques s’inscrivent de plus en plus dans un climat sécuritaire planétaire et dans la montée du néoconservatisme, tant au Québec qu’ailleurs.

Ces objectifs exigent une articulation cohérente entre les niveaux de pouvoir internationaux, nationaux et municipaux. Ils exigent une politique de frontières qui concerne l’admission, l’accueil, l’incorporation/intégration et la naturalisation, sans compter une vision propre de l’aménagement de la diversité ou du « vivre ensemble ». Or, dans l’état actuel des choses, le Québec a des pouvoirs incomplets en ces matières, en dépit du fait que la Chambre des communes ait reconnu, en novembre 2006, que les Québécois forment une nation au sein du Canada. Ce texte vise à en faire la démonstration et défend l’idée que seul un Québec souverain serait en mesure de définir lui-même son régime d’immigration et de citoyenneté et d’adhérer aux engagements internationaux qui lui conviennent[1].

Les pouvoirs en matière d’immigration

Les pouvoirs fédéraux et provinciaux actuels

L’immigration est un domaine de compétence partagé entre le gouvernement fédéral et les provinces. Le Canada et la Québec ont des ententes en matière d’immigration depuis 1971, l’Entente Couture-Cullen de 1978 étant la troisième du genre. En vertu de cette entente, le Québec a joué un rôle important en ce qui concerne les immigrants indépendants, c’est-à-dire, ceux qui sont sélectionnés selon des facteurs économiques et sociaux visant à évaluer leur aptitude à s’adapter. Dans ce but, le Québec a décrété son propre système de points d’appréciation. En prolongement de cette entente, celle qui a été conclue en 1991 entre les deux paliers de gouvernement, l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains (mieux connu sous le nom d’Entente Gagnon-Tremblay–McDougall, du nom des deux ministres responsables de l’immigration au Québec et au Canada) définit les responsabilités qui incombent respectivement aux gouvernements québécois et canadien. Celles-ci sont reflétées dans les législations québécoise et fédérale ainsi que dans les directives administratives (Québec, MICC, 2011b, p. 3).

Le gouvernement fédéral demeure responsable de l’admission des immigrants sur le territoire canadien ; des volumes d’immigration pour le Canada en prenant en compte la planification du gouvernement québécois ; des critères et des conditions de séjour (durée, autorisation de travail et d’études) ; et des critères d’interdiction de territoire (raisons de santé, de sécurité, de criminalité). Il définit les normes générales de traitement et les catégories générales d’immigration. Il détermine les catégories de la famille et les responsabilités financières du parrainage. Il est le seul responsable du traitement des demandes d’asile faites sur le territoire canadien. Enfin, il définit et accorde la citoyenneté (ibidem, p. 4-5).

Le Québec a pour sa part obtenu la responsabilité exclusive dans trois domaines relatifs à l’immigration permanente : 1) le volume d’immigrants souhaité; 2) la sélection des candidats qui veulent s’établir sur son territoire (à l’exception des demandeurs de statut de réfugié et des membres de la catégorie du regroupement familial); 3) la gestion et le suivi des engagements de parrainage ainsi que leur durée. Par ailleurs, en matière d’immigration temporaire, le consentement du Québec est requis en ce qui concerne : 1) l’octroi de permis de travail; 2) la remise de permis d’études et l’admission des étudiants étrangers, sauf lorsque ces derniers participent à un programme canadien d’assistance aux pays en voie de développement; 3) l’autorisation donnée à un visiteur de se rendre au Québec pour y recevoir des traitements médicaux (ibidem, p. 3).

L’Accord de 1991 cherche à préserver le poids démographique du Québec au sein du Canada et à favoriser l’intégration des immigrants dans le respect de son « caractère distinct » (article 2). Dans cet esprit, le gouvernement du Canada s’est engagé à permettre au Québec de recevoir un pourcentage du total des immigrants admis au Canada égal au pourcentage de sa population par rapport à la population canadienne, avec le droit (jamais exercé à ce jour) de dépasser ce chiffre de cinq pour cent pour des raisons démographiques. Selon les termes de l’Accord Canada-Québec, l’État québécois est responsable des services d’accueil et d’insertion économique et linguistique offerts aux résidents permanents. Une compensation financière est versée pour que le Québec puisse prendre en charge ces responsabilités dans la mesure où ces services correspondent à ceux offerts par le gouvernement canadien et qu’ils sont offerts aux résidents permanents qui auraient pu être sélectionnés par le Canada (Labelle, Rocher et Antonius, 2009).

Un Québec souverain disposerait d’une totale maîtrise pour définir des objectifs démographiques, économiques et humanitaires en matière d’immigration internationale, élaborer une loi et des règlements sur l’immigration et la protection des réfugiés, définir les catégories de migration permanente (économique, parrainage, demandeurs d’asile, réfugiés, personnes en situation de détresse) et temporaire (visiteurs, étudiants, travailleurs temporaires), fixer les volumes annuels, déterminer les procédures d’appel relatives aux demandes d’asile, etc.

Les engagements internationaux

Plusieurs des traités internationaux sur les droits de la personne comprennent des articles qui concernent la protection des migrants et de leurs familles.

En plus d’appuyer les principes généraux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de la personne de 1948, le Canada a ratifié les six traités internationaux de l’ONU sur les droits de la personne et a soumis des rapports sur sa mise en œuvre de chaque traité : la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et ou dégradants, et la Convention relative aux droits de l’enfant. Plusieurs de ces traités concernent la libre circulation, le droit à une nationalité, la non-discrimination. L’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et ou dégradants stipule qu’« [a]ucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. ».

À noter, le Canada n’a pas ratifié la Convention sur les travailleurs migrants, adoptée par l’Organisation internationale du travail en 1949. Il n’a pas ratifié non plus la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1990. Cette convention internationale protège les droits fondamentaux des migrants résidant légalement dans le pays hôte aussi bien qu’en situation irrégulière. Cela en fait un instrument international assez unique, selon les experts. Le Canada refuse également de ratifier la Convention américaine relative aux droits de l’homme. Or, c’est un instrument qui contient plusieurs droits civils (droit à la vie, à la liberté, à la dignité, interdiction de l’esclavage et de la servitude, etc.) pouvant garantir une meilleure protection aux migrants. Il comprend un mécanisme de supervision des obligations des États contractants et la Cour interaméricaine des droits de l’homme a rendu, à ce jour, plusieurs arrêts défendant les droits des migrants et des demandeurs d’asile (communication personnelle de la chercheure Idil Atak).

En juin 2011, les délégués réunis à la 100e Conférence annuelle de l’Organisation internationale du travail (OIT) ont adopté une nouvelle convention internationale visant la protection des travailleuses et travailleurs domestiques, dont on estime que le nombre se situe entre 53 et 100 millions à l’échelle mondiale. La Convention concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques exige des États que le travail domestique soit régi par des normes comparables à celles des autres formes de travail (heures de travail, salaire minimum, périodes de repos, sécurité sociale, protection de la maternité, etc.). Cette Convention n’est toujours pas en vigueur, mais le Canada s’est engagé à l’examiner. Il s’agit aussi de réglementer les agences d’emploi privées ou, d’enquêter sur les plaintes reçues, par exemple. Human Rights Watch a souligné le caractère historique de cette convention.

L’Assemblée générale de l’Organisation des États américains (OEA), qui a eu lieu du 5 au 7 juin 2011, a adopté quelque 85 déclarations et résolutions dont huit concernent la lutte contre le racisme, les droits des autochtones et les droits des migrants et des personnes réfugiées[2].

En ce qui concerne le projet de Convention interaméricaine contre le racisme et toutes les formes de discrimination et d’intolérance, soulignons que le Canada et les États-Unis ont manifesté des réticences, le Canada rappelant « ses décisions précédentes de se retirer officiellement des négociations relatives à un projet de Convention interaméricaine contre le racisme et toutes les formes de discrimination et d’intolérance » et les États-Unis signalant une « réserve » quant à la négociation de tout instrument « juridiquement contraignant » à cet égard.

Un Québec souverain devra prendre position sur ces engagements internationaux et s’impliquer dans le développement et la solidarité avec les pays sources d’immigration. Le fera-t-il? Il aurait les mains libres pour prendre part aux débats sur la scène internationale afin de statuer sur ce type d’enjeux normatifs et politiques. En outre, le Québec pourrait signer des traités et des conventions que le Canada n’a pas ratifiés. Pour l’instant, le refus du Canada implique nécessairement, avec ou sans son consentement, le refus du Québec.

Les pouvoirs en matière de citoyenneté

Un autre champ d’intervention concerne la citoyenneté entendue au sens de la participation à la res publica (la chose publique), l’idée de citoyenneté ne se réduisant pas au statut juridique et à la détention d’un passeport. Elle implique également des aspects qui concernent les représentations symboliques de l’identité nationale et les modes d’appartenance à la communauté politique. D’ailleurs, on ne peut qu’observer l’interrelation fréquente de ces différents aspects dans les textes de l’État canadien sur le sujet.

La citoyenneté canadienne

Le guide Découvrir le Canada : Les droits et responsabilités liés à la citoyenneté (Canada, 2011) fait état de la citoyenneté canadienne en ces termes :

Tous les citoyens canadiens ont des droits et des responsabilités, qui nous viennent de notre passé, qui sont garantis par le droit canadien et qui reflètent nos traditions, notre identité et nos valeurs communes. Les règles juridiques du Canada proviennent entre autres des lois adoptées par le Parlement du Canada et les assemblées législatives provinciales, de la common law, du code civil de la France et de la tradition constitutionnelle héritée de la Grande-Bretagne.

Ensemble, ces règles préservent pour les Canadiens une tradition de liberté ordonnée vieille de 800 ans, qui remonte à 1215, année de la signature de la Magna Carta (aussi appelée Grande Charte des libertés) en Angleterre, et qui comprend : la liberté de conscience et de religion; la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse; la liberté de réunion pacifique; la liberté d’association (Canada, 2011a, p. 8).

La Constitution du Canada a été modifiée en 1982 afin d’inclure la Charte canadienne des droits et libertés, dont le libellé commence ainsi : « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». Selon le guide, « ces mots soulignent l’importance des traditions religieuses pour la société canadienne ainsi que la dignité et la valeur de l’être humain » (ibidem). La Charte précise les libertés fondamentales, les droits démocratiques, la liberté de circulation et d’établissement, les garanties juridiques et les droits à l’égalité. Le guide de 2011 souligne d’autres droits, dont les plus importants sont la liberté de circulation et d’établissement, les droits des peuples autochtones, les droits relatifs aux langues officielles, les droits à l’instruction dans la langue de la minorité et le multiculturalisme, « une caractéristique fondamentale de l’identité et du patrimoine canadiens » (ibidem).

Officiellement, la citoyenneté canadienne découle de la Loi sur la citoyenneté de 1985 qui a été mise à jour en 2011. L’article 5 de la Loi sur la citoyenneté précise que le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois : en fait la demande; est âgée d’au moins dix-huit ans; est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout [...]; a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada; a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté; n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20 (Canada, 2011b, p. 8).

L’article 15 du Règlement sur la citoyenneté concerne la procédure à suivre pour faire la demande (acte de naissance, pièces justificatives, etc.) et énonce les conditions d’obtention de la citoyenneté (un examen écrit ou une entrevue). L’évaluation se base sur deux critères fondamentaux : 1) la connaissance du Canada ainsi que des droits et responsabilités liés à la citoyenneté; et 2) la connaissance suffisante du français ou de l’anglais. Les candidats adultes qui ont 55 ans ou plus n’ont pas besoin de passer l’examen pour la citoyenneté (Canada, 2011a, p. 6). Le candidat doit avoir une connaissance suffisante des principales caractéristiques de l’histoire politique et militaire, de l’histoire culturelle et sociale, de la géographie physique et politique et du système politique canadien en tant que monarchie constitutionnelle du Canada (ibidem, p. 64).

Au cours de la cérémonie d’attribution, le candidat doit prêter un serment d’allégeance :

Je jure (ou j’affirme solennellement) que je serai fidèle et porterai sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs, que j’observerai fidèlement les lois du Canada et que je remplirai loyalement mes obligations de citoyen canadien (ibidem, p. 2).

Le guide Découvrir le Canada insiste sur un certain nombre de valeurs communes et sur les responsabilités liées à la citoyenneté, soit respecter des lois, répondre à ses propres besoins et à ceux de sa famille, faire partie d’un jury lorsque demandé par le gouvernement, voter aux élections, offrir de l’aide aux membres de la communauté et protéger le patrimoine et l’environnement (ibidem, p. 9).

Quant à l’identité canadienne ou la définition du « nous », elle passe par la reconnaissance de « trois peuples fondateurs : les Autochtones, les Français et les Britanniques », tout en insistant sur l’unité dans la diversité. Aujourd’hui, le multiculturalisme « est une caractéristique fondamentale de l’identité et du patrimoine canadiens. Les Canadiens sont heureux de vivre ensemble et s’efforcent de respecter le pluralisme et de vivre en harmonie » (ibidem, p. 8).

La citoyenneté québécoise d’après les projets de loi 196 et 195

Si le Québec est bien un « peuple fondateur » et désormais une nation reconnue, il n’a pas de pouvoirs sur le terrain politique de la citoyenneté. De plus, les tentatives gouvernementales d’agir sur ce terrain sont rapidement décriées et délégitimées, comme en fait foi notre analyse du Forum sur la citoyenneté de 2000 (Labelle et Rocher, 2004).

Ainsi, dans le contexte de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, et avant le dépôt du rapport de la Commission, Pauline Marois, chef du Parti québécois et de l’opposition officielle, déposait le projet de loi no 195 sur l’identité québécoise (Québec, 2007a) et le projet de loi no 196 sur la Constitution québécoise (Québec, 2007b; Marois, 2007).

Ces projets sont morts au feuilleton, mais il vaut la peine de s’y attarder, car ils soulèvent plusieurs problèmes et lacunes que nous soulignerons en conclusion. Notons que madame Marois prévoit de les relancer si elle devient première ministre lors de prochaines élections.

Le projet de Loi sur l’identité québécoise visait à :

permettre à la nation québécoise d’exprimer son identité par : 1) l’élaboration d’une constitution québécoise; 2) l’institution d’une citoyenneté québécoise; 3) la prise en compte dans l’interprétation et l’application des libertés et droits fondamentaux du patrimoine historique et des valeurs fondamentales de la nation québécoise, notamment de l’importance d’assurer la prédominance de la langue française, de protéger et de promouvoir la culture québécoise, de garantir l’égalité entre les femmes et les hommes et de préserver la laïcité des institutions publiques (Québec, 2007a, p. 3).

Il concernait aussi l’adoption de dispositions législatives afin d’assurer la prédominance et la qualité de la langue française comme langue de travail et d’éducation, la compréhension de l’histoire nationale, la valorisation de la culture québécoise et l’intégration des ressortissants étrangers à la vie québécoise.

Il touchait la modification de la Charte des droits et libertés du Québec par l’insertion, après l’article 40, de l’article 40.1 : « Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l’apprentissage de la langue française. ». La Charte aurait aussi été modifiée par l’insertion, après l’article 50, de l’article 50.1 : « Dans l’interprétation et l’application de la présente Charte, il doit être tenu compte du patrimoine historique et des valeurs fondamentales de la nation québécoise, notamment de l’importance d’assurer la prédominance de la langue française, de protéger et de promouvoir la culture québécoise, de garantir l’égalité entre les femmes et les hommes et de préserver la laïcité des institutions publiques » (Québec, 2007a, p. 7).

En ce qui concerne la citoyenneté québécoise, le projet de loi no 195 proposait la modification du Code civil du Québec par l’insertion, après l’article 49, des éléments suivants :

49.1. Est instituée une citoyenneté québécoise.

49.2. A qualité de citoyen toute personne qui :

1° détient la citoyenneté canadienne et est domiciliée au Québec le (indiquer ici la date de l’entrée en vigueur de la présente loi);

2° est née au Québec ou est née à l’étranger d’un parent détenant la citoyenneté québécoise après le (indiquer ici la date de l’entrée en vigueur de la présente loi).

Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

1° détient la citoyenneté canadienne depuis au moins trois mois;

2° est domiciliée au Québec;

3° a résidé d’une manière effective sur le territoire du Québec pendant six mois, dont les trois mois précédant le dépôt de sa demande;

4° a une connaissance appropriée de la langue française;

5° a une connaissance appropriée du Québec et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté (Québec, 2007a, p. 5-6).

Une fois ces conditions remplies, le candidat aurait dû prêter un serment d’allégeance au peuple du Québec :

49.3. La personne à qui est attribuée la citoyenneté prête, devant le ministre de la Justice ou la personne qu’il désigne, le serment suivant : « Je, (nom du citoyen), déclare sous serment que je serai loyal envers le peuple du Québec, que j’observerai fidèlement les lois du Québec et que je remplirai loyalement mes obligations de citoyen dans le respect de la Constitution québécoise » (Québec, 2007a, p. 6).

La citoyenneté québécoise (à noter, en régime fédéral) aurait octroyé le droit d’éligibilité lors d’élections municipales, scolaires et législatives, le droit de participer au financement public des partis politiques et d’adresser des pétitions à l’Assemblée nationale pour le redressement de griefs (Québec, 2007a, p. 6).

Enfin, certaines clauses avaient trait à l’intégration des étrangers. Le projet de loi no 195 proposait la modification de la Loi sur l’immigration au Québec (L.R.Q., chapitre I-0.2) par l’insertion de l’article suivant :

3.2.2.2. Le ministre conclut avec les personnes qui s’établissent au Québec un contrat d’intégration d’une durée de trois ans afin de favoriser leur intégration à la vie québécoise. Le ministre s’engage dans le contrat à fournir l’aide et l’accompagnement nécessaires pour favoriser une telle intégration. Le contrat d’intégration doit notamment inclure l’obligation de faire l’apprentissage de la langue française et d’avoir une connaissance appropriée de la langue française dans le délai prévu. Le ministre peut déterminer les termes du contrat, qui peuvent varier selon l’âge ou la situation du ressortissant étranger (Québec, 2007a, p. 8-9).

Quant au projet de loi no 196 sur la Constitution québécoise, il abordait diverses questions comme le territoire, le patrimoine, la langue officielle, les symboles nationaux, les droits et libertés, les compétences du Québec et, enfin, les valeurs fondamentales de l’État québécois.

Le Québec est une société libre et démocratique.

Le Québec est un État de droit.

Le Québec est une terre où les personnes sont libres et égales en dignité et en droits.

Le Québec assure la promotion et la protection de la langue française et de la culture québécoise.

Le Québec contribue au maintien de la paix et de la sécurité internationale.

Le Québec favorise le progrès social, le développement économique et la diversité culturelle dans le monde.

Le Québec agit selon les principes du développement humain et du développement durable (Québec, 2007b, p. 3-4).

Si les définitions de la citoyenneté canadienne et d’une éventuelle citoyenneté québécoise semblent converger sous certains aspects (droits et libertés, conditions d’obtention), on ne peut que constater la profonde distance en ce qui a trait à la communauté politique et nationale de référence. En font foi l’obligation de connaître l’anglais ou le français au Canada versus la connaissance obligatoire du français au Québec, ; l’apprentissage de la langue française conçu comme un droit pour les immigrants (engageant donc l’État à fournir des services adéquats dans ce sens) dans le projet québécois et le serment d’allégeance à la Reine versus le serment d’allégeance au peuple québécois.

Les pouvoirs en matière d’aménagement de la diversité et de protection des minorités

Rappelons ici que selon les termes de l’Accord Canada-Québec de 1991, le Québec est responsable des services d’accueil et d’insertion linguistique et économique des nouveaux arrivants.

Dans l’état actuel des choses, le Québec se présente aux immigrants comme une nation au sein de la fédération canadienne et ne cesse de rappeler, dans les documents officiels du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, un socle de valeurs communes non négociables : la démocratie, la primauté du droit, la langue française, l’égalité entre les hommes et les femmes, la laïcité, parmi lesquelles figure le pluralisme. Or, la langue française n’est pas une valeur. La laïcité non plus et elle est loin d’être définie. Quant au pluralisme incarné par l’interculturalisme, il demeure source d’ambiguïté et d’incohérence de la part de l’État.

Le pluralisme signifie en principe une philosophie politique du « vivre ensemble » marquée par le respect des droits, y compris les droits culturels. Dire que le Québec est une société pluraliste signifie qu’il se situe à un moment de l’histoire contemporaine où il n’est plus légitime d’avaliser l’assimilation comme idéologie politique d’État. Historiquement, l’idéologie assimilationniste a été hégémonique au Canada et a servi à dominer et à assujettir les nations autochtones et les Canadiens français comme solution aux « conflits de race » avec les Anglais, ainsi que le proposait Lord Durham dans son rapport de 1840.

Or, l’assimilation est une affaire individuelle. On peut la souhaiter, mais l’État n’a pas à la forcer. Grâce aux mouvements anticolonialistes et de contestation culturelle des années 60, les États occidentaux ont pris du recul face à l’assimilation forcée, au profit de visions plus ouvertes de la coexistence et de la prise en compte de la différence. Au Québec, le pluralisme s’incarne dans la philosophie de l’interculturalisme, ce qui est différent du multiculturalisme canadien.

C’est dans cette mouvance que le gouvernement fédéral a adopté la politique du multiculturalisme en 1971, sous le premier ministre Pierre Elliot-Trudeau. Une Loi sur le multiculturalisme canadien a été sanctionnée en 1988. L’État québécois insiste plutôt sur l’interculturalisme depuis des décennies, une vision qui diffère de la politique officielle du multiculturalisme canadien, quoi qu’en disent ceux pour qui il s’agit de la même mouture.

François Rocher et moi soutenons que si les objectifs peuvent être identiques sous bien des aspects, il n’en demeure pas moins que les deux idéologies politiques peuvent diverger sur l’une de ses dimensions centrales et structurantes. Cette dimension est celle de l’identification explicite de la société au sein de laquelle la reconnaissance du pluralisme se déploie et des conditions qui y sont associées. La promotion que fait le gouvernement fédéral du caractère bilingue et multiculturel du Canada court-circuite les orientations québécoises. La politique canadienne du multiculturalisme vise le renforcement du sentiment d’appartenance au Canada et la valorisation de la citoyenneté canadienne, alors que l’interculturalisme québécois, qui a aussi pour objectif la protection des minorités, vise à promouvoir les valeurs québécoises (en dépit de la confusion qui règne dans ce domaine), à susciter le sentiment d’appartenance au Québec et la promotion de la langue officielle du Québec, et ceci, en l’absence d’une citoyenneté québécoise clairement affirmée (Labelle et Rocher, 2011). L’affirmation du caractère central de la langue française, comme langue publique commune, est sapée par la politique canadienne du bilinguisme et sa confirmation par les tribunaux (Woehrling, 2008).

En somme, il n’est pas inutile de rappeler que le débat sur l’interculturalisme québécois est grandement déterminé par l’enjeu irrésolu portant sur le statut de la société d’accueil, à savoir le jeu des tensions et des rapports de force entre le Canada et le Québec. Deux modèles ou idéologies d’aménagement de la diversité ethnoculturelle sont en présence et se font concurrence au sein de la fédération canadienne. Ces stratégies sont source de confusion au sein de la société québécoise et font obstacle à une prise en compte de la diversité conséquente par l’État du Québec et à une représentation de la citoyenneté québécoise qui soit à la fois territoriale et pluraliste. À cet égard, on comprendra que la force symbolique du multiculturalisme tient moins au fait qu’il sert à décrire le caractère pluriel de la démographie canadienne, qu’à affirmer haut et fort, de manière non équivoque, l’importance accordée au respect de la diversité au sein de la société canadienne soucieuse de sa propre cohésion sociale et politique. Il s’agit d’un conflit fondamental qui porte sur l’allégeance attendue des citoyens, sur l’identification de la polis au sein de laquelle se réalise le rapprochement et où le dialogue interculturel prend place (Labelle et Rocher, 2011).

Ensuite, l’interculturalisme propose un modèle de société différent de celui de la « mosaïque » associée à l’idéologie traditionnelle du multiculturalisme canadien. En théorie, l’interculturalisme prêche la compréhension mutuelle, les échanges, un « vivre ensemble » partagé. Or, sur le terrain et en fonction des résultats, la différence n’est pas si grande. Car, comme l’écrit Josée Boileau dans son éditorial du 6 septembre 2011 : « Une fois sortis du boulot, Québécois de souche et nouveaux arrivants, à quelques exceptions près, s’ignorent superbement. Qui en parle ? Qui prend à bras-le-corps la méfiance des gens d’ici et "l’entre-soi" de ceux qui arrivent ? » (Boileau, 2011, p. A8).

Avec son statut de province canadienne, le gouvernement du Québec ne pourrait pas adopter une loi sur l’interculturalisme (ce qui n’est pas nécessairement souhaitable), car il est subordonné à l’article 27 de la Constitution canadienne « selon lequel toute interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ».

L’interculturalisme demeure donc un métadiscours symbolique, plutôt flou, qui prône le rapprochement et le dialogue tout en insistant sur les valeurs communes. Ce métadiscours est stationnaire et se situe encore bien loin de l’horizon politique de la citoyenneté, lequel est tout aussi bloqué dans le contexte canadien (Labelle et Rocher, 2011).

Rappelons qu’en 1986, l’Assemblée nationale a adopté une Déclaration sur les relations interethniques et interraciales qui faisait suite à l’appui donné à la proclamation par l’Organisation des Nations Unies de la deuxième Décennie de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale. En 2008, le gouvernement du Québec s’est doté d’une politique de lutte contre le racisme, La diversité : une valeur ajoutée. Politique gouvernementale pour favoriser la participation de tous à l’essor du Québec (Québec, 2008). Il reste beaucoup à faire sur un terrain ouvert aux influences des réseaux internationaux xénophobes et porteur d’enjeux qui ne vont pas s’amenuiser à l’avenir.

L’indépendance permettrait au Québec de clarifier les choses en matière d’aménagement de la diversité, du moins au plan normatif, un terrain qui s’avère miné de contresens, les uns accablant tantôt le multiculturalisme, tantôt l’interculturalisme (sous-entendu l’immigration) de tous les péchés du monde (communautarisme, ghettoïsation, accommodements raisonnables, délitement de l’identité nationale, etc.), et ce, dans la plus parfaite confusion des genres.

Conclusion

L’immigration au Canada est un domaine de compétence partagée. Si le gouvernement du Québec a des pouvoirs considérables, ils ne sont pas ceux d’un État nation souverain. En plus de réaliser l’ensemble du processus de sélection de l’immigration (dont les demandeurs d’asile et l’humanitaire), un Québec souverain définirait les catégories d’immigration, les conditions d’admission et de renvoi, de même que les conditions d’obtention de la citoyenneté québécoise. Il agirait de façon autonome sur la scène internationale afin de signer les traités internationaux, de conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux et de développer une conception propre de l’aide au développement à propos de la question de l’immigration. Le ferait-il? De quelle manière? Voilà l’enjeu.

Quant à la philosophie du « vivre ensemble », elle est actuellement l’objet de contradictions flagrantes. Le régime canadien entretient une vision du multiculturalisme qu’aucun gouvernement québécois n’a entérinée formellement ou informellement et qui a des effets délétères sur la façon dont les nouveaux arrivants et les minorités perçoivent leurs modalités d’appartenance au Québec. Pour sa part, la nation québécoise prône le pluralisme tout en étant elle-même réduite à une reconnaissance strictement culturelle ou symbolique au sein de l’ensemble canadien.

En principe, la souveraineté permettrait de répondre plus adéquatement aux défis posés par l’immigration et l’intégration. Cela concerne les questions de fond que sont l’intégration économique et linguistique, les inégalités, la protection des minorités, la participation et la délibération politiques, mais également le rapport aux symboles et aux référents nationaux. C’est dans cet esprit que Josée Boileau conclut :

Ce qui complique la donne de l’immigration au Québec, c’est qu’il est un pays sans le nom, sans le pouvoir d’imposer tous ses choix, sans une histoire assumée. L’immigrant se perd dans ces paradoxes, s’en tient loin. Ce n’est, paraît-il, plus la mode d’en parler, mais l’arrière-fond de ce débat s’appelle toujours la souveraineté (Boileau, 2011, p. A8).

Par ailleurs, les positions prises par le Parti québécois et autres instances souverainistes posent un certain nombre de problèmes. Y a-t-il lieu de légiférer sur l’identité québécoise? Comme beaucoup d’autres, je pense que non. L’identité nationale ne peut être prescrite par la loi, ce que rappelle le Conseil de l’Europe (2008). Si l’apprentissage et la connaissance de l’histoire sont incontournables, tenter de définir l’identité nationale et se fixer sur ses racines est plus risqué.

Y a-t-il lieu de parler de citoyenneté québécoise alors que nous sommes en régime fédéral? Ne risque-t-on pas de créer une citoyenneté de seconde classe ou sans grande signification? Interrogé sur la question, Me André Binette ne croit pas que le droit canadien puisse s’accommoder d’une citoyenneté québécoise, et les tribunaux statueraient que la citoyenneté est une compétence fédérale exclusive. Me Binette fait état d’un traité interne qui a permis à une des Premières Nations de créer sa propre citoyenneté (les Nishgas en Colombie-Britannique, dans les années 90). Il s’agirait d’un cas unique, qui a eu lieu sous un gouvernement libéral, pour lequel il a fallu juridiquement l’accord du Canada : « De plus, de tels traités sont automatiquement constitutionnalisés, ce qui les met sur le même pied que la compétence fédérale sur la citoyenneté et en réduit la portée. Il n’en serait pas ainsi d’un amendement au Code civil ou à une autre loi québécoise ». Alors, pourquoi le Parti québécois cherche-t-il à agir sur ce terrain?

Mon avis sur cette question est que le PQ, sachant cela, cherche délibérément un terrain d’affrontement sur l’identité nationale qu’il aura choisi. Il y a un peu de stratégie dans tout cela, avec l’espoir de mobiliser l’opinion publique, parce que sur le plan juridique, l’issue me paraît prévisible. Une citoyenneté provinciale à laquelle se rattachent des effets juridiques, comme l’éligibilité à des élections municipales, me paraît contraire à la Constitution canadienne. La citoyenneté québécoise pourrait être insérée dans une Constitution du Québec. Celle-ci prévaudrait sur l’ensemble des lois québécoises. La Constitution québécoise serait toutefois elle-même soumise à la Constitution canadienne tant que le Québec ferait partie du Canada (communication personnelle, 30 juillet 2011).

Dans le chapitre 12 sur l’accession à l’indépendance du Québec, Me André Binette propose, avec Gilbert Paquette, un régime présidentiel qu’il serait difficile d’obtenir à l’intérieur du Canada. Rappelons que pendant le Forum sur la citoyenneté de 2000, tenu par le Parti québécois, certains députés fédéraux (avec en tête Stéphane Dion) avaient affirmé que le Canada ne laisserait pas le Québec se doter d’une Constitution. Le Québec essuierait un refus avant même de se rendre au point d’adopter une citoyenneté.

D’autres questions importantes doivent être clarifiées dans le projet de pays et ne sont pas abordées pour le moment. Comment se transmet la citoyenneté? Comment se conjuguent le principe d’attribution (la citoyenneté est involontaire et automatique) et le principe d’acquisition (fait volontaire qui requiert une action positive de la part du demandeur)? Qu’en est-il de la double citoyenneté, particulièrement de la double citoyenneté québécoise et canadienne? Au référendum de 1995, le gouvernement du Québec avait proposé de reconnaître la double citoyenneté aux citoyens du Québec qui voudraient conserver leur citoyenneté canadienne. L’inverse, c’est-à-dire la reconnaissance de la citoyenneté québécoise aux citoyens canadiens qui y aurait droit resterait évidemment une prérogative du gouvernement canadien. Dans un contexte de mondialisation, la réponse à ces questions est d’une importance capitale pour susciter l’appui des immigrants et des minorités d’implantation plus ancienne qui sont impliqués, à juste titre, dans les affaires de leur pays d’origine.

Une réponse articulée sur toutes ces questions, comme d’ailleurs sur l’ensemble des politiques publiques, contribuerait à donner un sens concret et positif, source de fierté, au rêve québécois d’indépendance.

Références

  • Labelle, M. (2008). « Une identité qui se redéfinit au contact d’une immigration de plus en plus diversifiée ». Dans R. Laliberté (dir.), À la rencontre d’un Québec qui bouge, Introduction générale au Québec, p. 45-50. Paris : Éditions du CTHS.
  • Labelle, M., Rocher, F. (2011). Les limites indépassables de l’interculturalisme en contexte canadien : un chemin semé d’embûches. Symposium international sur l’interculturalisme, Montréal, mai.
  • Labelle, M., Rocher, F., Antonius, R. (2009). Immigration, diversité et sécurité : les associations arabo-musulmanes face à l’État au Canada et au Québec. Québec : Les Presses de l’Université du Québec.
  • Labelle M., Rocher F. (2004). « Debating Citizenship in Canada: The Collide of Two Nation-Building Projects ». Dans P. Boyer, L. Cardinal et D. Headon (dir.), From Subjects to Citizens. A Hundred Years of Citizenship in Australia and Canada, Ottawa: University of Ottawa Press, pp. 263-286.
  • Mouhoub, M. (2005). Les nouvelles migrations. Un enjeu Nord-Sud de la mondialisation. Paris : Universalis.
  • Organisation des États américains. (2011). Déclarations et résolutions adoptées par l’Assemblée générale. 41e Assemblée générale, 5-7 juin, San Salvador (http://www.oas.org/fr/41ag) [consulté le 21 juillet 2011].
  • Québec, ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (2011a). L’immigration au Québec. Consultation 2011-2015, Québec : Gouvernement du Québec.
  • Québec, ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles. (2011b). L’apport de l’immigration au développement durable. Consultation 2011-2015, Québec : Gouvernement du Québec.
  • Québec, ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (2008). La diversité : une valeur ajoutée. Politique gouvernementale pour favoriser la participation de tous à l’essor du Québec, Montréal : Direction des affaires publiques et des communications du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles.
  • Woehrling, J. (2008). « La Charte de la langue française : les ajustements juridiques ». Dans P. Georgeault et M. Plourde (dir.), Le français au Québec : 400 ans d’histoire et de vie. Montréal, Fides : p. 354-360.
  • Wihtol de Wenden, C. (2009). La globalisation humaine. Paris : PUF.

Notes

  1. Mes remerciements les plus sincères à Me André Binette, Xavier Dionne et Ann-Marie Field pour leurs conseils judicieux.
  2. Projet de Convention interaméricaine contre le racisme et toutes les formes de discrimination et d’intolérance; reconnaissance et promotion des droits des personnes d’ascendance africaine dans les Amériques; projet de Déclaration américaine des droits des peuples autochtones; les droits humains de tous les travailleurs migrants et de leurs familles; protection des demandeurs du statut de réfugié et des réfugiés dans les Amériques; traitement de la question des flux migratoires dans les Amériques selon une perspective de droits de la personne; prévention et réduction des cas d’apatridie et protection des apatrides dans les Amériques; prévention et élimination de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, du trafic illicite et de la traite des enfants et des adolescents. Voir http://www.oas.org/fr/41ag/ .