Ouvrage:L’indépendance, maintenant !/Préface

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Contributeur initial Jacques Parizeau
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L'indépendance maintenant !

On dit souvent que la pensée et le discours souverainistes doivent être renouvelés, mieux adaptés aux circonstances d’aujourd’hui, pertinents, en somme doivent être modernisés. On a raison, et ce livre sur l’indépendance du Québec est une remarquable contribution à cette nécessaire adaptation. Il était temps.

L’idée d’indépendance a beaucoup évolué depuis qu’elle a inspiré l’organisation de partis souverainistes dans les années 1960. Elle a manifesté une vitalité, une capacité de s’adapter qui tranche avec l’impression trop souvent répandue qu’après un brillant départ, elle a perdu graduellement sa pertinence et qu’on l’attend au vestiaire des accessoires de l’Histoire.

D’une façon ou d’une autre, j’ai participé à chacune des grandes étapes politiques de la mouvance indépendantiste. Cela me donne, je pense, une certaine perspective pour comprendre où nous en sommes aujourd’hui et pourquoi ce livre tombe à point.

La première étape a été celle de l’apparition de deux partis souverainistes aux élections de 1966 : le RN (Ralliement national) et surtout le RIN (Rassemblement pour l’indépendance nationale). Ils prendront suffisamment de votes pour faire tomber le gouvernement qui a présidé à la Révolution tranquille (Jean Lesage) et permettre à Daniel Johnson de prendre le pouvoir avec comme devise « Égalité ou indépendance ». Ce ne sera ni l’une ni l’autre.

La deuxième étape a été marquée par la création du Parti québécois deux ans plus tard, qui a pris le pouvoir en 1976, a lancé une série de grandes réformes et a convoqué un référendum en 1980 pour demander l’autorisation d’amorcer les négociations avec le Canada sur la souveraineté-association. Le Non, on le sait, l’a emporté par une bonne marge (60 %-40 %).

La troisième étape a eu lieu en 1994 lors de la reprise du pouvoir par le Parti québécois, qui s’est engagé à tenir un référendum dans les huit ou dix mois suivant l’élection (en fait, cela en prendra treize) pour demander l’autorisation de réaliser la souveraineté. Nouvel échec. Cette fois, cependant, le camp du Oui a atteint plus de 49 % des voix (61 % chez les francophones) et le taux de participation a atteint le niveau extraordinaire de 94 %. On a longtemps discuté des nombreuses irrégularités qui auraient marqué le vote. Mais le résultat était là.

Qu’il y ait eu une sorte de repli pendant quelques années après l’échec de 1980, cela se comprend. Plus surprenant a été le repli qui a suivi le résultat de 1995. Le gouvernement fédéral, qui a eu très peur, a pris tous les moyens pour empêcher une nouvelle tentative, pour remettre le Québec « à sa place ». Ces moyens ont été juridiques (renvoi à la Cour Suprême, loi sur la clarté), publicitaires (les commandites), financiers (coupures des transferts) et universitaires (bourses du millénaire, chaires de recherche du Canada). Québec, tout occupé à sa quête du déficit zéro, a accepté « sa place » sans trop rechigner.

En dépit de ce repli — ou plutôt peut-être à cause de lui — plusieurs mouvements indépendantistes apparaissent au cours des années. Si le Bloc québécois, en plus de défendre les intérêts des Québécois à Ottawa, continue de préparer l’avenir, le Parti québécois, lui, est de plus en plus mis au défi de revenir à la défense et à l’illustration de la souveraineté. On cherche à ce qu’il prenne son rôle de chef de file au sérieux, que le discours se renouvelle, que l’on se prépare, que la préparation soit solide, l’objectif bien défini, les politiques claires.

Cela ne peut se faire en un jour. Parce que d’époque en époque, les conditions et les circonstances ont beaucoup changé et qu’il faut s’y adapter. Ce n’est pas facile.

En 1966, l’indépendance était encore un rêve assez peu arrimé à la réalité. Il a suffi que deux hommes d’affaires, surfant sur une soi-disant fuite de capitaux (dont il a été démontré par la suite qu’elle n’était rien d’autre qu’une opération médiatique), fassent signer au nouveau Premier ministre du Québec, en vacances à Hawaï, une lettre officialisant le renoncement au rêve.

En 1980, après quatre ans de pouvoir, le Parti québécois avait acquis une remarquable maîtrise des dossiers gouvernementaux et s’était préparé aux négociations qu’il espérait pouvoir mener si le résultat du référendum lui était favorable. Le chemin de la réussite était cependant bien étroit. Le Canada restait, sur le plan économique, une entité intégrée. Il s’était entouré depuis un siècle de barrières commerciales (droits de douane et quotas) qui, dans le cadre de négociations internationales, baissaient, graduellement sans doute, mais restaient substantielles. L’industrie québécoise était encore très dépendante d’activités traditionnelles (textiles, vêtements, chaussures, meubles, etc.) qui avaient besoin de protection. Le Canada la leur fournissait et était, en voie de conséquence, le plus important client du Québec.

Bien sûr, plusieurs pays, qui étaient bien moins préparés que le Québec pour atteindre leur indépendance, étaient apparus depuis vingt-cinq ans. Mais, réaliste, René Lévesque offrait au Canada la négociation d’une entente de souveraineté-association comportant sans doute les attributs de la souveraineté (pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir ses impôts et d’établir ses relations extérieures), mais maintenait avec le Canada « une association économique comportant l’utilisation d’une même monnaie ».

Politiquement, M. Lévesque n’avait pas le choix : cette formule était la seule façon de rassurer le public. Économiquement, c’était la voie de la sagesse. La faiblesse venait de ce qu’il suffisait du refus de quelques têtes d’affiche du Canada anglais pour faire planer le doute, voire la peur.

La peur était partout. Les personnes âgées perdraient leur pension fédérale, une monnaie québécoise s’effondrerait, le Canada anglais boycotterait nos produits, l’armée canadienne envahirait de nouveau le Québec (le souvenir de 1970 était encore vif), Ottawa reprendrait tous les territoires du Nord québécois, l’ouest de Montréal ferait cessation, le prix de l’essence augmenterait, etc.

Et pourtant, 40 % des Québécois ont voté Oui.

Quinze ans plus tard, les circonstances avaient profondément changé. La donne était différente. Au moment où le Parti québécois a repris le pouvoir, en 1994, les tentatives de réforme constitutionnelle (Meech, Charlottetown) avaient échoué. Le fédéraliste était démoralisé. Le souverainiste retrouvait l’espoir. Sur le plan économique, un séisme s’était produit. Un traité de libre-échange avec les États-Unis avait été signé. Le Parti québécois avait fait cause commune avec le Parti libéral au pouvoir pour appuyer le gouvernement canadien, en butte à une opposition farouche de l’Ontario.

Les exportations du Québec vers les États-Unis ont augmenté de 8 % à 10 % par année tout au long des années 1990, et de 1 % à 2 % seulement vers le Canada. Rapidement, les États-Unis sont devenus le plus grand marché extérieur du Québec. Cela a changé bien des choses et bien des attitudes. Une association avec le Canada était souhaitable, mais n’était plus nécessaire. En tout état de cause, des ententes devaient de toute façon être signées, mais le chantage aux échanges (« Nous n’achèterons plus de vous ») était terminé.

En outre, le grand débat sur la monnaie s’est achevé avec une phrase simple : « Si un Québec indépendant veut garder le dollar canadien, rien ni personne ne peut l’en empêcher. » Après s’être longuement interrogé, les meilleurs spécialistes canadiens ont fini par conclure qu’effectivement, les moyens nécessaires pour empêcher les Québécois de garder la monnaie canadienne étaient irréalistes, pour ne pas dire surréalistes.

De 1989 à 1995, les études relatives à la souveraineté du Québec se sont multipliées, d’abord sous le gouvernement Bourassa, puis sous le mien. Au secrétariat de la Commission Bélanger-Campeau puis, plus systématiquement, sous la coordination du nouveau ministre de la Restructuration, la plupart des facettes de la souveraineté ont été abordées avec l’aide d’un grand nombre de spécialistes. Il est remarquable, cependant, que les questions écologiques et environnementales n’aient pas été traitées. Ce serait impensable aujourd’hui.

Du point de vue des indépendantistes, il va de soi que, quand on se fixe comme objectif de convaincre les citoyens de s’engager, il faut que les dirigeants soient eux-mêmes préparés à la réalisation du projet, sachent où ils veulent aller et comment s’y rendre. Il faut être en mesure de répondre sans détour aux questions des citoyens en général et des journalistes en particulier. Cela demande beaucoup de préparation et un dialogue soutenu avec la société civile. Cela demande aussi de nombreux contacts avec l’étranger, dans certains cas pour trouver des appuis, mais aussi pour tenter de « neutraliser » ceux qui s’opposent a priori à toute remise en question du statu quo. Et, bien sûr, il faut s’assurer de leviers financiers solides.

Tant qu’un gouvernement ou un parti souverainiste ne procède pas à cette longue préparation, il ne peut être pris au sérieux. On ne peut pas se contenter de faire vibrer la corde émotionnelle de temps à autre, de brandir la bannière des bonnes intentions, d’être très détaillé dans ses critiques de la façon dont les choses sont menées et d’offrir l’assurance d’une impeccable gestion « provinciale ».

Au bout d’un temps, l’opinion publique finit par comprendre. Les gens, en majorité, peuvent trouver que la souveraineté est souhaitable, une minorité seulement pense qu’elle se réalisera.

Tôt ou tard, cependant, la volonté de réussir, et donc celle de s’y préparer, va revenir. Il faudra une fois de plus s’adapter à des circonstances : elles ont bien changé depuis 1995. Essentiellement, à mon sens, il s’agit de la mondialisation et de ses dérives. On le sait, les deux grandes composantes de la mondialisation sont, d’une part, l’explosion des nouvelles technologies de communication et d’information et, d’autre part, l’extension du libre-échange des produits aux services, aux investissements et aux mouvements des capitaux. Les idées néolibérales ont battu en brèche un peu partout le dirigisme d’État. La déréglementation, celle des institutions financières en particulier, s’est répandue pour profiter pleinement des perspectives qu’ouvrait la mondialisation. Dans un contexte pareil, les entreprises multinationales et les grandes institutions financières semblent disposer d’un pouvoir réel face à des gouvernements plus ou moins désarmés, en tout cas affaiblis. Dans certains milieux, on commence à rêver à un citoyen du monde petit à petit affranchi de ses racines nationales et d’un monde où les marchés détermineraient la croissance, l’emploi et la prospérité. J’exagère, bien sûr, mais l’idée du chacun-pour-soi a été un rêve tenace… jusqu’à la crise financière de 2008.

On ne peut pas sous-estimer l’importance de la crise qui a frappé les États-Unis lorsque son système financier a menacé de s’écrouler, entraînant un gel des crédits interbancaires à travers le monde. Les gouvernements ont été forcés de monter au créneau et, au centre de la crise, celui des États-Unis a temporairement « nationalisé » le système par une opération de sauvetage spectaculaire. Le pire a été évité pour le système financier, mais des millions de gens ont perdu leur maison. Le désengagement de l’État a évidemment été remis en cause. En même temps, l’on se rendait compte de l’extraordinaire interdépendance des économies. Que la dette grecque ait, depuis plusieurs mois, dominé à ce point l’évolution des Bourses en dit long sur l’instabilité que la mondialisation des échanges, la déréglementation et l’instantanéité des communications ont pu apporter.

Cette crise a une fois de plus souligné le rôle traditionnel du gouvernement national. En dépit de toute l’internationalisation qui s’est produite, c’est toujours vers son gouvernement que le citoyen se tourne. C’est de lui qu’il attend qu’il protège l’emploi, les revenus, l’environnement, mais aussi la langue, la culture. On sait bien que le gouvernement n’a plus, dans le cadre des accords internationaux, la même marge de manœuvre. Et pourtant, le gouvernement ne peut se débarrasser de ses responsabilités. Il doit se débrouiller à travers les structures et les accords internationaux. Encore faut-il y avoir accès.

Sans doute une nation ne devient-elle pas un pays indépendant uniquement pour des considérations comme celles sur lesquelles je me suis attardé. Une identité forte, le goût du « vivre ensemble », la volonté d’être responsable de soi-même, le partage de certaines valeurs, une certaine assurance dans ses capacités, tout cela est essentiel. On ne peut construire un pays sans ce faisceau de qualités. Pour certains, ces conditions nécessaires sont aussi suffisantes. Mais la plupart veulent se faire leur idée du pays à construire avec plus ou moins de détails, avoir une idée de ce que cela peut donner. Et on voudra discuter de comment on s’y prendra.

C’est pourquoi la publication de ce livre est importante. Il était temps que, dans le contexte d’aujourd’hui, on recommence à discuter de ce que serait un Québec indépendant. Dans ce sens, les Intellectuels pour la souveraineté (IPSO) rendent un fier service. J’espère que certains voudront approfondir certaines questions, et que d’autres, rejetant certaines formules proposées, présenteront des alternatives. L’important, ce n’est pas que tous soient d’accord. C’est qu’ils soient intéressés. Lorsque, dans la société, l’indépendance du Québec sera redevenue un sujet intéressant, la politique recommencera à s’y intéresser.