Ouvrage:Le Livre qui fait dire oui/L’histoire

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Contributeur initial Patrick R. Bourgeois
historien

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Évidemment, on ne réalise pas l’indépendance d’un peuple afin de venger un passé douloureux. L’histoire a été souvent utilisée à des fins politiques plus ou moins responsables; la liste des conflits du 20e siècle nous en donne quelques bons exemples.

Cela ne signifie pas que le passé doit être poussé sous le tapis, qu’il ne doit pas être pris en compte afin d’élaborer des stratégies destinées à rompre les liens asservissant des peuples aux autres, afin de réaliser légitimement l’indépendance d’une nation. Il doit servir à l’établissement de grandes tendances historiques permettant de mieux comprendre le présent, et de mieux prévoir l’avenir.

L’histoire démontre que les liens qui nous unissent à nos voisins à l’intérieur d’un même système politique n’ont jamais été des plus heureux. Elle démontre aussi qu’Anglais et Français ont été souvent en guerre ouverte les uns contre les autres. Ainsi, il aurait été surprenant qu’il en aille autrement dans le Canada fondé en 1867, surtout lorsqu’on considère le fait que les Canadiennes françaises et les Canadiens français ont été forcés de s’y soumettre, qu’ils y ont été intégrés sans la possibilité de refuser l’appartenance canadienne. Ce n’est jamais le prélude à des relations harmonieuses.

Mille ans de conflits

Les tensions entre ces deux grandes nations naissent d’une longue rivalité au sein de leur parentèle européenne respective, rivalité qui remonte à aussi loin que l’an 1066, lorsque les troupes de Guillaume de Normandie envahirent l’Angleterre. Plusieurs siècles d’affrontements plus tard, avec la période des grandes découvertes (15e—17e siècles), Angleterre et France s’opposeront pour le contrôle des terres nouvellement découvertes. L’Amérique sera un terrain d’opération important.

Rivaux en Amérique

Dès 1629, l’Angleterre tente de réduire la Nouvelle-France récemment fondée. Les frères Kirke établissent le siège devant Québec, alors une bourgade dirigée par Samuel de Champlain. Ce que les frères Kirke savent, c’est que les Français meurent de faim dans cette Nouvelle-France naissante. Ils attendent donc que Champlain se rende, ce qu’il fera le 19 juillet 1629; ses hommes et lui seront retournés en France. Il reviendra en 1632, après que la France eut récupéré ses terres américaines grâce au traité de Saint-Germain-en-Laye. À Québec, Champlain retrouvera un champ de ruines. La Nouvelle-France est à recommencer à zéro.

Le répit sera de courte durée. Le 7 mai 1689, le roi anglais Guillaume III se joint à la Ligue des Augsbourg et déclare la guerre à la France. En Amérique, les Anglais du Sud instrumentalisent les Iroquois contre la Nouvelle-France. Dans la nuit du 4 au 5 août, 1 500 guerriers iroquois traversent le Saint-Laurent et attaquent la bourgade de Lachine. Les hommes sont tués, les femmes enceintes éventrées, les enfants dévorés. L’horreur de Frontenac, nouveau gouverneur de la Nouvelle-France, est totale. Il planifie des attaques de représailles contre des villages de Nouvelle-Angleterre. En termes de violence, les tueries perpétrées par les Franco-Canadiens sont comparables à celle de Lachine.

Pour régler définitivement le problème, la Nouvelle-Angleterre entreprend une opération d’envergure. L’amiral Phips embarque au port de Boston à destination de Québec. Il dirige une flotte de 34 navires que manient 2 000 hommes. Devant Québec, Phips réclame la reddition de Frontenac. Ce dernier lui confie que sa seule réponse lui parviendra par la bouche de ses canons. Phips tente donc de prendre Québec, mais il est facilement repoussé par les soldats canadiens. Craignant d’être pris dans les glaces, il lève le siège et repart à destination de Boston. Le Saint-Laurent réglera toutefois son sort. Sa flotte sera brisée par une énorme tempête, ses hommes avalés par les eaux émeraude. La paix de Ryswick accordera quelques années de répit à la Nouvelle-France.

En 1702 éclate la guerre de Succession d’Espagne. Afin de miner la puissance de la France, l’Angleterre signe une alliance avec les principautés allemandes, les Pays-Bas et le Danemark, contre la France, ce qui donne le feu vert à la Nouvelle-Angleterre pour attaquer à nouveau sa voisine. Le gouverneur Vaudreuil mobilise ses troupes et s’attend à une attaque imminente. Cependant, le Saint-Laurent viendra encore une fois à la rescousse de la Nouvelle-France : les 14 vaisseaux de guerre de l’amiral Walker se briseront sur les récifs de la Côte-Nord lors d’une tempête, mille hommes périront noyés dans les eaux glaciales du Saint-Laurent. La paix d’Utrecht de 1713 accordera quelques années de répit de plus à la Nouvelle-France.

En 1744, une nouvelle guerre éclate entre l’Angleterre et la France : la guerre de Succession d’Autriche. Les Français s’attaquent aux postes anglais de l’ancienne Acadie, territoire en partie perdu en 1713. Les Bostonnais, eux, bombardent Louisbourg durant 47 jours. Les Français capitulent, mais ils récupéreront la forteresse à l’issue du conflit, lors de la signature du traité d’Aix-la-Chapelle.

La fin de la Nouvelle-France

La guerre de Sept Ans, déclenchée dès 1754 en Europe, devait malheureusement donner le coup de grâce à la Nouvelle-France.

Il s’agit d’un conflit mondial, et l’Amérique subit les contre-coups des décisions guerrières des grandes puissances européennes. Sur ce nouveau continent, les hostilités ont été déclenchées dans les environs du fort français de Duquesne. Le lieutenant-colonel George Washington l’attaque. Il remportera une première victoire, mais les miliciens canadiens arriveront en renfort et repousseront les Anglais. Le fort anglais Necessity, tout près, sera détruit. Le peuple acadien, qui refuse de prêter serment d’allégeance à la couronne anglaise, devient pour sa part la cible des Anglais. En 1755, afin de punir celui-ci de son affront à la couronne d’Angleterre, les Anglais décident de le déporter. Ce sera l’un des premiers actes de nettoyage ethnique de l’histoire relativement récente. Pour faire face aux événements, la France dépêche en Amérique l’un de ses meilleurs généraux : le marquis de Montcalm. Celui-ci déclenche rapidement les hostilités et remporte de nombreuses batailles importantes, dont celles du Fort William Henry et de Carillon. Ces victoires signées par les Franco-Canadiens sont éclatantes et impressionnantes du fait qu’ils se battent toujours en forte infériorité numérique.

La bataille des Plaines

Mais la triste réalité devait tôt ou tard rattraper les troupes de Montcalm. Affrontant une armée anglaise aux renforts quasi inépuisables en comparaison des siens, Montcalm finit par être vaincu sur les plaines d’Abraham par son vis-à-vis, James Wolfe, qui ne ménage aucune manœuvre afin de réduire la Nouvelle-France. Pillages, massacres et viols sont commis afin de vaincre cette Nouvelle-France qui ne veut pas mourir. Le traité de Paris sera signé en 1763. La Nouvelle-France ne sera plus jamais. Les Canadiennes et les Canadiens passent aux mains d’un régime étranger et hostile, d’une Angleterre qui fera tout pour les assimiler.

Le régime anglais

Une première occasion lui est offerte lors de l’indépendance des États-Unis. L’Angleterre ouvre grandes ses portes du Nord pour que les loyalistes s’y installent et noient numériquement le peuple canadien. L’Acte constitutionnel de 1791 permettra à ceux-là de vivre en contrôlant le Haut-Canada nouvellement formé. Mais dans quelle langue fonctionneront ses parlements, celui du Haut comme celui du Bas-Canada ? Et les tensions linguistiques de faire ainsi leur apparition officielle.

La résistance

La résistance canadienne ne tarde pas à s’engager. Dès la fin des années 1700, des Canadiennes et des Canadiens rêvent de liberté, de créer une république française en Amérique. Sans grand succès, cependant. Il faut plutôt attendre le mouvement patriote pour que l’idée prenne du galon et alimente les rêves d’un grand nombre. Inspiré par les mouvements anticoloniaux d’Europe et d’Amérique, le Parti canadien de Louis-Joseph Papineau réclame plus de justice, de liberté et de démocratie. Ses 92 résolutions, qui visent à réformer le système politique, sont balayées du revers de la main par le Parlement anglais. La réaction est vive dans la colonie. La grogne populaire se fait sentir. Pour écraser toute velléité de révolte, les autorités anglaises commandent au colonel Gore de marcher sur le village de Saint-Denis. Stupeur dans les rangs anglais : les patriotes, une armée de civils et de paysans, le vaincront. Ce sera là l’unique victoire patriote des événements de 1837–1838. Les défaites qui s’enchaîneront par la suite seront suivies d’une répression violente et injuste. Les femmes sont jetées à la rue. Leurs filles, violées. Les arrestations se multiplient. En prison, les patriotes sont traités de la manière la plus abjecte. Cinquante-huit d’entre eux seront condamnés à l’exil; douze seront pendus sur la place publique.

Acte d’Union et assimilation

Lord Durham sera appelé en renfort. On lui demande de trancher le nœud gordien, et sa conclusion est sans appel : les autorités doivent tout faire pour assimiler les Canadiennes et les Canadiens, la première étape pour ce faire étant d’unir le Haut et le Bas-Canada. C’est ce que concrétisera l’Acte d’Union de 1840, par l’entremise duquel le Canada français paiera la dette de l’Ontario en devenir et par lequel la langue française sera bannie.

La période qui s’ensuit est très noire pour les Canadiennes et les Canadiens. Réfugiées sous la protection mitigée de l’Église catholique, les communautés francophones vivent dans l’isolement. Le Canada-Uni démontre tout son dysfonctionnement. De 1854 à 1864, neuf gouvernements se succéderont. Les députés ne s’entendent pas sur un programme permettant de rallier une majorité d’entre eux. Il leur faut trouver un autre système politique, un système qui ne respectera plus l’égalité entre les représentants francophones et anglophones. Les disciples de George Brown réclament le « rep by pop », la représentation selon le poids démographique réel. Cela se comprend aisément: la population anglo-protestante, grâce à l’immigration, est désormais majoritaire sur le territoire, ce qui fait craindre aux nationalistes canadiennes et canadiens qu’elle ne les domine et ne leur impose ses façons de faire.

La Confédération imposée

Aux Canadiennes et aux Canadiens, la Confédération de 1867 sera imposée sans qu’ils ne soient consultés. Ils deviennent de ce fait les titulaires d’une simple province principalement responsable des services sociaux comme l’éducation ou la santé. Un tel statut ne plaît pas à tous. Antoine-Aimé Dorion, chef libéral, se risque même à affirmer que chaque peuple devrait disposer de son destin et qu’il devrait être consulté lorsque des décisions sont prises à ce sujet; une façon comme une autre de prétendre que si le peuple canadien avait eu le choix, s’il avait pu se prononcer au sujet du Canada de 1867, il l’aurait rejeté.

Le Canada sera à l’image des relations entretenues jusque-là entre francophones et anglophones. L’orangiste[Notes 1] John A. Macdonald sera le premier homme de l’histoire canadienne à occuper le poste de premier ministre. Il s’assure que l’Ouest soit exclusivement colonisé par des citoyens anglo-protestants. Lorsque les Métis du Manitoba se mettent en travers de sa route, il décide de faire pendre Louis Riel, « même si tous les chiens du Québec devaient aboyer[Notes 2] ». Les Canadiennes françaises et les Canadiens français, dans leur ensemble, se caractérisent par une infériorité économique déplorable et sont la proie d’un vaste système d’exploitation qui les transforme en citoyens de seconde zone et pille leurs ressources naturelles. Plusieurs croiront se libérer en émigrant aux États-Unis, mais ne seront là-bas rien de plus que les faire-valoir de l’industrie textile.

Des hommes se dresseront, comme le premier ministre du Québec Honoré Mercier, qui plaide en faveur de l’autonomie provinciale contre les velléités centralisatrices du Parlement canadien. Sans grands résultats.

Non aux guerres de l’Empire

Les guerres auxquelles participe l’Angleterre — le Canada, statut colonial oblige, est forcé de l’appuyer — démontrent de façon éclatante la ténacité des deux solitudes. En 1897, lors de la Guerre des Boers en Afrique du Sud, anglophones et francophones ne partagent pas du tout la même vision des choses. Alors que les premiers appuient les Britanniques, les seconds jugent pour leur part que les Boers, ces descendants de Hollandais, ont raison de lutter contre les Anglais; ils sont contre la participation du Canada à cette guerre impérialiste et seront aussi contre l’idée que le Canada se paie une marine pour soutenir l’Angleterre dans ses conflits répétés. Lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, la province de Québec sera archicontre l’idée de conscription. Des soldats de Toronto seront envoyés en renfort à Québec en 1918, où ils ouvriront le feu sur la foule anticonscriptionniste, tuant quatre personnes. En 1942, le Canada organisera un plébiscite pour se délier d’une promesse faite au Québec selon laquelle la conscription ne serait pas de nouveau imposée. Les anglophones votent pour la recommandation. La conscription sera concrétisée en 1944. Le gouvernement canadien profitera aussi du contexte pour récupérer des pouvoirs des mains de l’État québécois.

Grande Noirceur et Révolution tranquille

La période qui s’ouvre, dite de Grande Noirceur, ne sera pas plus facile. À la dérision, on dit que le premier ministre Duplessis laisse le fer québécois aux compagnies étrangères au prix d’une cenne la tonne. Plus que jamais, les travailleurs québécois sont bafoués, exploités. On se rendra bientôt compte que les francophones du Québec forment un des groupes les plus pauvres; ils sont décrits comme des porteurs d’eau, des citoyens de seconde zone, et ce, au cœur même du territoire qu’ils ont défriché et développé. Cela catalysera la Révolution tranquille des années 1960. Le Québec est alors en ébullition. Des mesures sont prises pour outiller sérieusement l’État québécois afin qu’il combatte la pauvreté des francophones. Dans un tel contexte, les manifestations se font nombreuses. Les Québécoises et les Québécois rêvent d’une autre vie... et plusieurs, d’un pays. La répression des velléités d’indépendance ne se fera pas attendre. Si la majorité croit en la voie démocratique pour sortir le Québec des griffes du Canada, d’autres, inspirés par les révolutionnaires cubains ou algériens, mettent sur pied le FLQ [[[Front de libération du Québec]]]. Cela débouche sur la crise d’Octobre de 1970, alors que le Canada impose la Loi sur les mesures de guerre. Des centaines de Québécoises et de Québécois n’ayant rien à voir avec le FLQ seront emprisonnés. Le traumatisme sera notable. Et durable.

L’élan souverainiste du 20e siècle

Le Parti Québécois prendra le relais. En raison du renouvellement des tensions linguistiques et de la soif de grands changements du peuple, il remporte les élections de 1976 et s’engage dans une démarche référendaire. Les souverainistes seront battus le 20 mai 1980. Le Canada de Trudeau rapatrie alors la Constitution canadienne sans notre accord. L’idée du droit de veto pour le Québec s’envolera. La Charte des droits et libertés, adoptée simultanément au rapatriement, enfreindra certaines dispositions de la nouvelle loi 101, adoptée par le PQ en 1977 pour protéger notre langue. Et le multiculturalisme s’imposera en lieu et place de l’idée des deux peuples fondateurs[Notes 3]. Bref, la brisure est totale.

L’impasse du régime canadien

Certains Canadiens s’aperçoivent que le tort ainsi créé est considérable. C’est ainsi que le chef conservateur Brian Mulroney se fait élire avec le projet de rapatrier le Québec dans la famille canadienne, et ce, « dans l’honneur et l’enthousiasme ». Il remporte les élections de 1984, mais son projet de réconciliation sera battu sur les berges du lac Meech, le Canada ne pouvant accepter les cinq conditions minimales exigées par le Québec pour signer la constitution. La conclusion sera la même lors de la deuxième manche dite de Charlottetown. Ce contexte débouchera sur le deuxième référendum sur l’indépendance du Québec, en 1995, dont le résultat sera très serré et pendant lequel les histoires de fraude du gouvernement canadien seront légion. Cela laissera un goût amer dans la bouche de plusieurs, ce qui n’empêchera pas le mouvement indépendantiste de s’enliser pendant plusieurs années.

Conclusion

Les tensions entre Français et Anglais, entre Canadiens et Québécois remontent à très loin. Nous ne devons pas faire l’indépendance, bien sûr, pour réparer ce passé empreint de tensions. Nous devons toutefois prendre acte de cette histoire sulfureuse et nous appuyer sur le caractère résistant de notre peuple, qui a su survivre aux pires crises au fil de son histoire, pour mieux envisager notre avenir en terre d’Amérique.

Cet avenir ne peut se caractériser par la continuité des tensions du passé. Nous devons regarder en avant, envisager notre futur d’un œil positif, en prenant enfin toutes nos responsabilités, ainsi que notre place dans le monde. Qui peut, après tout, s’opposer à l’idée d’un jour voler de ses propres ailes ?


Notes

  1. L’orangisme a été fondé en 1795 à Loughall, en Irlande du Nord. C’est un mouvement protestant qui s’attaque aux droits des catholiques. Existant toujours aujourd’hui, il s’est historiquement opposé aux projets d’indépendance de l’Irlande. En Amérique, les orangistes sont aussi présents, et s’attaquent également aux droits des catholiques. Au Canada, ce conflit a été par ailleurs linguistique puisque les catholiques y parlent très majoritairement le français.
  2. Les « chiens » étaient très nombreux. On dit que 50 000 personnes se réunissent au Champ-de-Mars, à Montréal, afin de dénoncer le sort réservé à Louis Riel. À l’époque, la population du Québec était bien moindre (six fois moindre, environ), ce qui donne une bonne idée de l’ampleur du rassemblement.
  3. Idée qu’on a tenté d’imposer afin de faire oublier que les Canadiens (les Québécois en devenir) ont été forcés d’intégrer le Canada. La propagande officielle dira que Français et Anglais ont fondé de bon cœur le Canada. Si la fondation a été faite dans l’harmonie, il faut bien sûr en conclure que les chicanes ne sont pas de mise dans ce grand pays permettant à deux peuples fondateurs de cohabiter.