Antoine Gérin-Lajoie
Antoine Gérin-Lajoie naît à Yamachiche en 1824. Fils de cultivateur et aîné de 17 enfants, il étudie au Séminaire de Nicolet de 1837 à 1844. Journaliste, avocat, écrivain et fonctionnaire, il doit toutefois sa renommée à la chanson « Un Canadien errant » qu’il compose en 1842. Selon la légende, lui et son ami Cyprien Pinard se baladent sur les rives du Saint-Laurent lorsqu’ils assistent, bouleversés, au passage de la barge transportant les patriotes exilés vers l’Australie. Le jeune Pinard met aussitôt son ami au défi de parvenir à traduire leur émoi en composant de nouvelles paroles sur le vieil air « Par derrière chez ma tante » qu’il sifflote fréquemment. Défi relevé le soir même. Le jeune Antoine ajoute des couplets de son cru à la chanson folklorique qu’il transforme en complainte, sans se douter qu’il vient de composer une œuvre populaire pérenne qui le rendra célèbre. Cette anecdote nécessite toutefois une légère correction. Si le jeune Gérin-Lajoie rédige indéniablement ses vers un soir de 1842; la déportation des patriotes vers l’Australie, elle, se produit en 1839, soit trois ans auparavant. Excluant ainsi la possibilité que les jeunes séminaristes aient pu observer le passage de la fameuse barge sur le fleuve. Peu importe, la simplicité de ses couplets gagne rapidement la ferveur populaire au point où: « Cette chanson fera le tour du Bas-Canada et demeurera l’une des complaintes les plus solidement inscrite dans le répertoire spontané du Québec. » Elle accédera même à la notoriété mondiale grâce à deux artistes de réputations internationales qui choisissent de l’enregistrer: Leonard Cohen et Nana Mouskouri. Cette dernière accepte d’ailleurs de venir l’interpréter au cours d’un concert offert à la cathédrale de Nicolet, lors des festivités du 300e anniversaire de fondation de la municipalité.
Le défi que lui lance Cyprien Pinard n’est pas le premier du genre que Gérin-Lajoie se plaît à relever lors de ses études au séminaire de Nicolet. Dès 1842, ce dernier fonde au collège une société littéraire composée d’externes et de pensionnaires. Celle-ci organise régulièrement des joutes oratoires contradictoires, que le jeune séminariste remporte chaque fois avec brio, cela, malgré un parti pris pour les sujets « indéfendables ». À la fin de l’année 1844, il présente une tragédie originale intitulée « Le Jeune Latour » qui sera reproduite plus tard dans l’Aurore du Canada et lui assurera déjà une certaine notoriété. Alors, entre la vie religieuse et une profession libérale, laquelle choisir? Sa foi n’est pas très profonde et le domaine du droit est saturé au point où les diplômés parviennent difficilement à gagner leur vie. Antoine tranche néanmoins pour cette carrière. Afin de défrayer le coût afférant à ses études supérieures, il travaille comme journaliste. Toutefois, il ne pratiquera jamais véritablement le droit. Il acceptera un poste de fonctionnaire avant d’être nommé à la bibliothèque du Parlement, en 1856, où il terminera sa carrière.
Entre temps, il fonde le célèbre Institut Canadien de Montréal en 1844, dont il assurera la présidence jusqu’à 1846. Il occupe aussi durant plusieurs années le poste de secrétaire de l’association Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Au cours de cette période très active, il publie le roman « Jean Rivard, le Défricheur », en 1862: « De tous les romans canadiens du 19e siècle, les Anciens Canadiens exceptés, Jean Rivard est celui qui a connu le plus de succès auprès des lecteurs. » Cette œuvre connait plusieurs réimpressions et devient le premier roman canadien à être publié en feuilleton en France, en 1877. Or, l’auteur se défend d’avoir produit une œuvre de fiction: « Ce n’est pas un roman que j’écris, et si quelqu’un est à la recherche d’intrigues tant soit peu compliquée, je lui conseille amicalement de s’adresser ailleurs. » Son intérêt consiste principalement à valoriser la vie des défricheurs afin d’encourager la jeunesse à suivre leur exemple, plutôt que d’embrasser les professions libérales déjà saturées. Désireux d’en agrémenter la lecture, l’auteur ajoute à son récit certains détails de sa vie intime, de même que divers incidents laissant croire à un récit de fiction. Toutefois, il s’avère difficile de ne pas reconnaître les convictions religieuses et coloniales de l’auteur, dissimulées derrière ce personnage. Peu importe, « Jean Rivard » demeure durant trois quarts de siècle un classique du roman du terroir. Lors du centenaire de la fondation de Plessisville en 1935, une œuvre commémorative réalisée par le sculpteur Alfred Laliberté est dédiée à ce personnage symbolique de la colonisation des Bois-Francs; tandis qu’une rue de Nicolet nommée Gérin-Lajoie rend hommage à son auteur.
Les spécialistes s’entendent pour qualifier d’ordinaires les couplets d’Un Canadien errant : « Leur mérite, c'est d'avoir traduit, à un moment donné, le sentiment profond de tous les Canadiens patriotes. » Afin de bien illustrer son impact, on raconte qu’un jour de 1872, Gérin-Lajoie, déambulant dans un faubourg de Toronto, est ému jusqu’aux larmes lorsqu’il entend soudain, en provenance d’une fenêtre ouverte, la douce voix d’une jeune fille en train de fredonner les couplets de sa complainte. Une autre fois, alors qu’il chemine sur la colline parlementaire en compagnie de Benjamin Sulte, s’élève soudain de la rivière des Outaouais la puissante voix de ténor d’un cageux entonnant les strophes vibrantes d’Un Canadien errant : « Cette fois encore, affirme Sulte, il en pleura. » À partir de 1878, Antoine Gérin-Lajoie subit trois crises de paralysie, dont la dernière le terrassa le jour de son anniversaire, le 4 août 1882, à l’âge de 58 ans.
Texte : Serge Rousseau pour le CAR Séminaire de Nicolet
Références : Fonds Wilfrid Camirand F266/A1/1. Fonds Isaac Gelinas F084/B2/2/1. Dossier de recherche Antoine Gérin-Lajoie.
Photo : Un Canadien errant d’Antoine Gérin-Lajoie. Buste d’Antoine Gérin-Lajoie exposé au CAR Séminaire de Nicolet.