Cas récents de sécession
Tour d'horizon d'accession récentes à l'indépendance
Regardons ici un tour d’horizon de quelques cas d’accession à l’indépendance récents dont le contexte ressemble le plus à celui du Québec. Ces cas d’indépendance nationale répondent à trois critères : 1) sécession d’un autre État (plutôt que décolonisation), 2) réalisée démocratiquement et sans violence, et 3) dans des sociétés libérales développées. La plupart de ces exemples sont des exemples récents de l’histoire européenne.
Pays nordiques
Le cas des pays nordiques est particulièrement intéressant parce que le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède, ainsi que le territoire autonome du Groenland, ont su affirmer ou conquérir leur souveraineté et leur identité tout en restant associées entre elles [1], notamment au sein du Conseil nordique qui s’occupe principalement de coordination sociale et culturelle et, pour la plupart au sein de la Communauté Économique Européenne. Certains de ces États, avec une taille semblable à celle du Québec, ont inventé un système de démocratie avancée qui leur a garanti un très haut niveau de performance économique, sociale et culturelle qui sert de plus en plus de référence à l’Europe et au monde.
En 1905, la Norvège, État presque indépendant de la Suède, sauf pour les affaires étrangères et la défense, fit sécession par un vote de son parlement le 7 juin. Pour un court laps de temps, la Suède fit mine de s’y opposer par la force, mais elle exigea la tenue d’un référendum auprès des norvégiens. Celui-ci, tenu en août 1905, fut très largement majoritaire, ce qui amena rapidement des négociations pour le transfert des pouvoirs de la Suède vers la Norvège.
Le traité d’Union de 1918 entre l’Islande et le Danemark devait se renégocier en 1943, mais le Danemark était dans l’impossibilité de le faire, occupé par l’Allemagne nazie. Les Islandais décidèrent d’agir unilatéralement. Ils organisèrent un référendum au début de 1944, pour savoir si la population approuvait la sécession. Il y eut 98,6% de votants, et 97,3% d’entre eux se prononcèrent en faveur. La nouvelle république islandaise fut reconnue par les puissances Alliées et l’Union soviétique, le contexte de la guerre mondiale facilitant les choses.
Durant la seconde guerre mondiale également, le Groenland se détacha socialement et économiquement du Danemark, toujours occupé par les Allemands. En revanche, de nombreux liens se créèrent avec les États-Unis et le Canada. Après la guerre, le Danemark reprit certes le contrôle du Groenland, mais dut transformer le statut de l'île en 1953 de celui de colonie à comté d'outre-mer. En 1979 une seconde évolution lui conféra, d’un commun accord, une très large autonomie. Bien que toujours dépendant du Danemark, le Groenland a décidé par le référendum du 23 février 1982 de ne pas faire partie de l’Europe pour ne pas être soumis à certaines contraintes de la CEE qui l’empêcherait de protéger son industrie de pêche.
Tchécoslovaquie
En Europe centrale, l’union des nations tchèque et slovaque s’est faite en 1918, à la fin de la première Guerre mondiale, basé sur un consensus fragile. Alors que pour les Tchèques, « le concept unitaire correspondait à la continuité étatique des territoires de la Bohême-Moravie et une garantie de cohésion de l’État face à des voisins incertains (germanophones) et à une Slovaquie autonomiste », pour les Slovaques, « le concept autonomiste ou fédéral (et plus tard confédéral en 1990-1992), correspondait au dessein de préserver l’intégrité et la spécificité de ce qui était perçu comme le territoire national, ainsi qu’un partenariat égal dans l’élaboration de la politique publique. »[2] La période communiste verra le centralisme étatique s’accentuer en faveur des Tchèques. En 1989, suite à l’effondrement du régime socialiste, les deux nations cherchent à remplacer la constitution soviétique par une éventuelle constitution fédérale ou confédérale. Mais ils recherchent des solutions opposées. Devant l’impasse et la possibilité des Slovaques de bloquer toute nouvelle constitution, les deux gouvernements s’entendirent à l’amiable sur la dissolution de l’union, le 20 juin 1992. Il n’y eut aucun référendum, élection ou consultation populaire, les deux gouvernements voulant « éviter une polarisation croissante de la vie politique qu’auraient peut-être accentué les résultats du (possible) référendum (…) Les deux autres facteurs furent d’ordre économique. »[3]
Yougoslavie
En Yougoslavie, la constitution permettait la sécession, mais exigeait la tenue d’une consultation populaire pour ce faire. Après les pressions de Slobodan Milosevic sur la province du Kosovo, à laquelle s’opposèrent les états de Bosnie, de Macédoine, de Slovénie et de Croatie, les dirigeants de ces états décidèrent de se retirer de la fédération en tenant des référendums pour consolider leurs décisions. Le militarisme du président serbe créa des situations de violence en Croatie, en Bosnie et au Kosovo, mais les États de Macédoine, de Slovénie, et plus récemment du Monténégro, devinrent indépendants démocratiquement et sans violence.
La Slovénie a déclaré son indépendance unilatéralement de la Yougoslavie en juin 1991. Des négociations qui ne menaient nulle part avaient débuté avec le gouvernement central après le référendum général en Slovénie de décembre 1990 par lequel une majorité écrasante de 90% avait adopté pour l’option d’indépendance, suite au nationalisme centralisateur de la Serbie qui avait commencé à empoisonné la fédération yougoslave à la fin des années 80. Cinq ans après l’indépendance, le produit national brut slovène par habitant dépassait celui de plusieurs pays membres de l’Union européenne dont elle est maintenant membre. Le taux de chômage était tombé à 12 %. L’indépendance de la Slovénie est l’histoire d’une grande réussite.
L’indépendance du Monténégro de la Yougoslavie la regroupant avec la Serbie est toute récente. Lors du référendum du 21 mai 2006, l’Union européenne avait exigé un seuil de 55 %. Le Conseil de l’Europe considère cependant que ce seuil exigé au Monténégro ne doit pas constituer un précédent, mais tient compte de la situation particulière de ce pays. Les membres du Conseil ont réitéré l’importance du principe du 50 % plus 1. Dans les jours qui ont suivi le vote, positif à 55,4%, tous les poids lourds de la scène internationale : l’Union européenne, les États-Unis, la Chine, la France, la Russie, et même le Canada, quoique sans enthousiasme, ont admis le Monténégro dans le club des nations.
URSS
En URSS, certains pays comme la Moldavie et les nouveaux pays d’Asie centrale (Tadjikistan, Ouzbékistan, Kirghizistan, Kazakhstan) furent créés suite à la dissolution de l’URSS par un simple vote du parlement et sans référendum. Il eut des référendums en Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie et Turkménistan pour ratifier une déclaration unilatérale du gouvernement, elle-même basée sur l’existence d’un État souverain avant la constitution d’une république intégrée à l’URSS.
L’Ukraine, indépendante jusqu’en 1920, fut partie au traité de 1922 qui créait l’URSS. Elle reçu alors le statut de république socialiste soviétique qui permettait une certaine représentation internationale dont un siège à l’ONU. Ce n'est qu'en 1989 que la libéralisation du régime soviétique et la libération des détenus politiques permit aux Ukrainiens de s'organiser pour défendre leurs droits. En 1989, le Mouvement national ukrainien Roukh, fut créé. Lors des élections de mars 1990, les partis ukrainiens du bloc démocratique obtinrent environ 25 % des sièges au Parlement. Sous l'influence des députés démocrates, le Parlement adopta, le 16 juillet 1990, la Déclaration sur la souveraineté politique de l'Ukraine. Ce fut le premier pas vers l'indépendance complète de l'Ukraine. Celle-ci fut proclamée le 24 août 1991 et confirmée par le référendum du 1er décembre 1991 : 90,5 % des électeurs votèrent pour l'indépendance. La semaine suivante, l'URSS cessa d'exister suite à la dissolution décidée lors de la réunion à Minsk des dirigeants russe, ukrainien et biélorusse.
Dans les pays baltes, Estonie, Lituanie et Lettonie, il y eut des proclamations d’indépendance par vote majoritaire des élus entre 1988 et 1990, non reconnus par l’URSS. Les dirigeants des pays baltes refusèrent de tenir des référendums portant sur leur autodétermination, car c’eut été admettre leur sujétion à l’URSS. Ils acceptèrent plutôt de tenir, sous contrôle international lors d’une élection, des « sondages » officiels qui ont révélé un soutien très majoritaires en faveur de l’indépendance de 90,4% en Lituanie, de 73, 7% en Lettonie et de 77,8% en Estonie. Après l’implosion de l’URSS et leur reconnaissance par la Fédération de Russie qui succéda à l’URSS, ils furent reconnus par les Nations Unies et sont maintenant membres de l’Union européenne.
Points communs avec le Québec
Tous ces cas récents de sécession par la voie démocratique ont plusieurs points en commun avec notre situation au Québec. Ils se situent dans des pays économiquement avancés, régis par des régimes politiques démocratiques. La plupart des pays sont passés directement d’un statut d’entité politique jouissant d’une certaine autonomie comme membre d’une fédération (états, provinces,…) à un statut d’État indépendant, sans nécessairement rechercher un accroissement de leur autonomie comme statut intermédiaire. La plupart ont atteint l’indépendance par simple vote de leur parlement élu, parfois suivi d’un référendum, mais dans tous les cas, avec un appui majoritaire de la population. Ils se sont détachés d’un État jouissant d’une reconnaissance internationale, que la constitution de cet État ait prévu ou non le droit de sécession d’État. La plupart de ces États ont ensuite été reconnus rapidement par la société internationale et ont adhéré à diverses associations d’États souverains tel que l’Union européenne, l’OCDE, le Conseil nordique ou l’OTAN. Dans beaucoup de cas, le nouvel État indépendant compte une minorité d’une autre nationalité sur son territoire. L’existence d’une association économique forte comme l’Union européenne a d’ailleurs joué un rôle facilitant l’accès à l’indépendance de plusieurs des nouveaux États européens, puisque l’indépendance est une condition d’appartenance à l’Union. Des conditions analogues existent pour le Québec depuis l’adoption de l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA), une association d’États souverains qui regroupe actuellement le Canada, les Etats-Unis et le Mexique.
Différences avec le Québec
Il y par contre plusieurs différences avec la situation du Québec. Nous ne sommes pas dans un contexte de Guerre mondiale comme lors de l’accession de l’Islande à l’indépendance en 1945, non plus que dans un contexte d’implosion d’une fédération comme dans le cas de l’URSS ou de la Yougoslavie. Dans le cas de la Tchécoslovaquie, les deux nations étaient placées devant l’obligation de modifier la constitution héritée de la période soviétique. Dans le cas du Québec, l’une des deux nations, le Canada, se refuse à tout changement d’une constitution qui sert bien ses intérêts. La vision du fédéralisme véhiculée traditionnellement par le Québec s’apparente toutefois à celle de la Slovaquie qui aurait accepté une association d’États souverains. Devant l’impossibilité d’une telle approche, la Slovaquie a choisi l’indépendance. Reste à voir pourquoi le Québec n’a pas encore fait de même.
Quant à la question de la sécession sans violence qui marque les exemples que nous avons présentés, Alain Dieckhoff souligne « Lorsque la culture politique d’un pays est fermement établie sur des bases démocratiques, il n’y a pas de raisons à priori pour que la sécession ne puise pas être réglée par la négociation, à l’instar des conflits sociaux et des désaccords politiques. Imprégnée par une forte tradition libérale, la Suède emprunta cette voie avec la Norvège comme le Danemark avec l’Islande en 1944. Le Canada et la Belgique seraient tout désignés pour s’inscrire dans le même sillage si d’aventure le Québec et la Flandre optaient pour la séparation. »[4]
Notes
- ↑ Mougel François-Charles « L’Europe du Nord contemporaine - De 1900 à nos jours » Éditions ellipses, 2006
- ↑ Frédéric Wehrlé, Le divorce tchécoslovaque vie et mort de la Tchécoslovaquie, 1918-1992, Éditions l’Harmaattan, Paris 1994, pp. 267-268
- ↑ Frédéric Wehrlé, op. cit., p.273
- ↑ Alain Dieckhoff, « La nation dans tous ses États – Les identités nationales en mouvement », p. 256