Démarches d'accession

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Propositions de démarches alternatives

Référendum initiateur

Depuis l’élection de 1976, l’approche du Parti Québécois a consisté à dissocier l'élection, axée sur la gouverne provinciale, d’un mandat de réaliser l’indépendance nationale. Celle-ci ne pourrait se faire que suite à un référendum obligatoire, se tenant dans un avenir plus ou moins rapproché. On peut parler d’un référendum initiateur de la démarche vers la souveraineté sans lequel rien ne peut être faits. On évoque le caractère plus démocratique de la démarche et une clarté plus grande de la volonté majoritaire de la population. Cependant, le référendum initiateur a eu jusqu'à maintenant l'effet pervers d'évacuer le débat sur l'indépendance de la campagne électorale, laissant tout le champ libre aux adversaires de dénaturer l'option, en même temps que se banalisait l'arrivée au pouvoir d'un parti indépendantiste largement paralysé dans ses capacités d'action.

Certaines variantes de cette approche peuvent-ils éviter de remettre aux calendes grecques les choix déterminants que nous devons faire quant à notre avenir national? Par exemple, tout en maintenant le passage obligé par un référendum sur la souveraineté, l’élection de 1994 menant au référendum de 1995, a permis de centrer le débat électoral sur le projet de faire du Québec un pays. La campagne électorale a permis de faire la promotion de la souveraineté et d’obtenir un mandat de la réaliser par la voie référendaire. En 2004, il a proposé que le Parti Québécois se présente aux prochaines élections générales en sollicitant le mandat de réaliser l’indépendance. Un Gouvernement péquiste entreprendrait ensuite une démarche d’accession à la souveraineté en proposant une Constitution provisoire et en mettant en place l’appareil législatif et administratif nécessaire à l’accession à la souveraineté. Un référendum serait ensuite tenu qui autoriserait le gouvernement du Québec à procéder au transfert ordonné des pouvoirs.

Le programme du Parti Québécois de 2005 aurait eu le même effet s’il n’avait été mis de côté pour l’essentiel (sauf l’engagement de tenir un référendum) lors de l’élection de 2007 par André Boisclair. On peut le résumer de la façon suivante : « la prochaine élection conduira les Québécoises et les Québécois à un moment de vérité qui consistera à choisir, par voie référendaire et selon la règle de la majorité absolue de 50% +1 des voix valides, si le Québec peut accéder au statut de pays. Les engagements électoraux du Parti Québécois seront définis en fonction d’un projet de pays. (…) Le prochain référendum aura lieu le plus tôt possible dans le prochain mandat (…) et une réponse majoritaire affirmative « entrainera » l’assemblée nationale à déclarer la souveraineté du Québec et à donner des effets immédiats à celle-ci en posant une série de gestes de souveraineté nationale et internationale »[1]. Une fois la souveraineté réalisée, une assemblée constituante préparerait la constitution permanente de l’État souverain du Québec, soumise à l’approbation par référendum.

Plutôt que d'évacuer l'indépendance du débat, comme l’a souligné l’ancien ministre Robert Perreault, « c’est tout le contraire qu’il faudra dire lors de la prochaine campagne électorale et faire par la suite; à savoir qu’un gouvernement du PQ s’engage, s’il est élu, à ne faire que les gestes, et tous les gestes, qui engageront le Québec dans la voie de sa souveraineté nationale ». Puis il se demande si le Parti Québécois est suffisamment convaincu « que cette province est de plus en plus ingouvernable dans le carcan fédéral actuel; l’est-il au point de dire aux Québécois que, faute d’obtenir ce mandat de réaliser la souveraineté, un gouvernement du Parti Québécois démissionnera? »[2]

Cette dernière interrogation rejoint la position de Louis Bernard qui propose de faire de chaque élection une élection « pré-référendaire » suite à laquelle un gouvernement souverainiste s’engagerait à déclencher rapidement un référendum sur la souveraineté, immédiatement après sa victoire électorale. Expliquant que le Québec ne peut être bien gouverné que lorsque qu’indépendant, le Parti Québécois affirmerait « si vous n’approuvez pas la souveraineté, ne votez pas pour nous ». On remarquera ici que c’est exactement ce que disait la résolution du congrès de juin 1984 dont nous avons raconté, dans un chapitre précédent, l’adoption par le Congrès national du Parti, puis le rejet subséquent lors du congrès du « beau risque » de 1985. Une telle élection pré-référendaire serait préférable à une élection référendaire parce qu’un « mandat électoral sera toujours moins clair qu’un mandat référendaire » selon Louis Bernard, et qu’il est, surtout dans la conjoncture actuel, beaucoup plus difficile à obtenir compte tenu de la division des votes souverainistes entre plusieurs parti.

Élection "d'enclenchement" et pacte électoral

Dans la foulée de la « saison des idées », lancée par Bernard Landry après l’élection de 2003, plusieurs propositions de remise en question du dogme référendaire émergèrent du débat. Toutes préconisaient à des degrés divers la voie électorale de préférence à la voie référendaire comme moyen d’initier la démarche d’accession à la souveraineté. Certaines revenaient au programme initial du Parti des années soixante-dix où l’élection, même avec moins de 50% des votes, permettait d’enclencher la démarche sans passage obligatoire par un référendum, le référendum pouvant toutefois être utilisé pour affirmer clairement la volonté d’émancipation de la population lorsque nécessaire. D’autres préconisaient l’élection référendaire au cours de laquelle la souveraineté serait le principal sinon l’unique enjeu débattu, avec cette restriction que le parti devrait obtenir la majorité absolue des voix pour déclarer l’indépendance.

Dénonçant le prix politique énorme de l’enfermement des gouvernements du Parti Québécois dans la gestion provinciale découlant de l’approche référendaire, Robert Laplante propose de cesser de considérer le référendum comme un moment inaugural. C’est l’élection qui donne la légitimité d’agir. Un parti souverainiste à qui les citoyens confient la gouverne de l’État québécois doit être un parti qui a le mandat de faire les gestes de rupture qui prépareront l’indépendance. Cela ne veut pas dire que le recours au référendum soit écarté. Il doit changer de nature et de signification. (…) C’est un instrument de ralliement et de ratification qui vient clore un processus démocratiquement enclenché par l’élection. (…) Le Canada ne voit pas que le projet souverainiste change radicalement la donne provinciale: le droit à l’auto-détermination s’exerce, il ne se négocie pas. Ce sont les modalités résultant de l’exercice de ce droit qui définissent un objet de négociation. Le référendum que les souverainistes doivent tenir n’est pas celui d’Ottawa, c’est un référendum dont le résultat sera exécutoire, marquant l’assentiment du peuple à ordonner son devenir selon les valeurs, les règles et les institutions qu’il aura choisi de se donner. »

« L’élection d’un parti souverainiste est un moment inaugural. Le parti souverainiste élu a le mandat de mettre en place l’appareil législatif et administratif pour réaliser la souveraineté. » Il le fait en promulguant une constitution provisoire intégrant la loi 99 adoptée par l’Assemblée nationale et créant une « citoyenneté québécoise définissant l’éligibilité et les conditions de participation au processus constituant qui mettra au monde le Québec indépendant ». Se situant encore dans le régime fédéral, le Québec crée une cour constitutionnelle québécoise ayant juridiction « sur tous les domaines de compétence sauf sur ceux qui sont nommément attribués au gouvernement fédéral » par la constitution de 1867. « La ratification d’une constitution par voie référendaire viendra remplacer cette constitution provisoire et elle constituera une proclamation d’indépendance. (…) D’autres éléments complètent cette proposition dont un programme de mobilisation nationale qui « devrait traduire en quelques projets majeurs, l’urgence d’agir enfin dans le sens de nos intérêts nationaux. On pourrait imaginer, par exemple, un brève liste, disons, dix projets pour lancer le Québec sur la voie de son développement national, dix grands projets fondateurs que l’indépendance nationale permettra de réaliser. »[3]

Le qualifiant de "Pacte électoral", L’anthropologue Claude Bariteau propose une autre voie qui vise à remplacer le référendum consultatif inaugural par la voie électorale. Suite à une analyse de divers cas d’accession à l’indépendance dans le monde, il en conclut : « Des cas cités, il ressort que le processus qui conduit à une sécession démarre après une déclaration d’indépendance à la suite d’un vote de parlementaires qui ont ce mandat. Cette déclaration enclenche des négociations conduisant à la sécession. Le recours au référendum n’est utilisé qu’occasionnellement et, lorsqu’il l’est, c’est pour valider la décision de parlementaires ou mettre de la pression sur l’État d’origine. Autre point important à retenir : dans tous les cas cités, il y eut toujours un appui majoritaire de plus de 50 % lors d’une élection ou d’un référendum. (…) Pour accéder au statut d’État souverain après avoir fait sécession du Canada, il serait plus sage d’opter pour une démarche qui contourne cette loi et est aussi légitime qu’un référendum. C’est la thèse que j’avance. Pour fonder le pays, il faut prendre le pouvoir seulement si les parlementaires élus avec une plate-forme indépendantiste reçoivent plus de 50 % des votes exprimés. Un pacte à cet effet entre partis et groupes indépendantistes peut y conduire. »[4]

Alors que la thèse de Robert Laplante fait du référendum décisionnel sur la constitution, l’acte fondateur du Québec indépendant, Claude Bariteau propose au contraire que cet acte fondateur soit une élection où les candidats indépendantistes participant au pacte électoral forment une majorité parlementaire ET recueillent la majorité des suffrages exprimés. « Les votes décernés à tous les candidats indépendantistes en lice seraient additionnés afin d’atteindre la majorité absolue et ainsi donner aux élus le mandat de faire le pays » [5] explique Patrice Boileau, un autre partisan du pacte électoral.

Ces deux propositions, chacune à leur façon auraient le mérite de redonner l’initiative au mouvement souverainiste. L’élection d’un parti dans le cas de la proposition Laplante, ou d’une coalition souverainiste dans le cas de la proposition Bariteau, est l’acte qui initie le processus d’accession à la souveraineté. On met ainsi de côté l’obsession électoraliste qui enferme un parti souverainiste dans la gouverne provinciale. Le gouvernement issu de cette élection a le mandat de réaliser la souveraineté et il peut utiliser tous les moyens démocratiques pour y parvenir. La décision d’accéder à l’indépendance ne dépend que de la volonté populaire qui doit, d’une façon ou l’autre s’exprimer majoritairement. Soulignons que, contrairement à position initiale du RIN et du PQ au début des années soixante-dix, la majorité de 50% plus 1, qu’elle s’exprime par un référendum sur la constitution d’un Québec souverain ou au moyen d’une coalition électorale souverainiste, est nécessaire pour proclamer l’indépendance. Finalement, la voie électorale, évite le risque d’un troisième échec référendaire en laissant toujours la porte ouverte. Perdre une élection sur la souveraineté n’a en effet rien de dramatique puisqu’il y a des scrutins à tous les quatre ans.

Voie citoyenne et démocratie participative

Constatant la difficulté du peuple québécois à décider clairement de son avenir national, plusieurs groupes proposent une démarche alternative qualifiée de « voie citoyenne », axée sur l’exercice de la démocratie participative. Sous la direction d’Yves Leclerc et de Claude Béland, un collectif composé principalement d’universitaire publiait en 2003 un ouvrage intitulé « La voie citoyenne – Pour renouveler le modèle québécois ». « On convient maintenant, de toutes parts, qu’il est illusoire de chercher à modifier la constitution canadienne de façon substantielle.(…) Le projet souverainiste n’a pas été évacué du débat politique. Il obtient toujours l’appui d’une part importante de la population et, en fait, il est maintenant moins irréaliste que la recherche d’une nouvelle réforme constitutionnelle (…mais) le Canada a tendance à se construire sans tenir compte du Québec. » Après avoir caractérisé un modèle québécois reposant sur un partage des responsabilités entre un État moderne que les Québécois ont construit et les entreprises, les syndicats et le secteur associatif et communautaire, le collectif constate que ce modèle heurte de front la construction de l’identité canadienne en marche dont le principal vecteur est l’État fédéral canadien, et qui implique « le rôle subordonné des provinces ». Il faudrait au contraire s’appuyer sur la mobilisation et les contributions d’un grand nombre d’acteurs sociaux, « afin de construire la souveraineté par en bas, à partir de ce que l’on est, en se mobilisant autour d’un projet social ambitieux, les Québécois peuvent exercer pleinement la souveraineté dont ils disposent déjà et démontrer que leurs options politiques ne se limitent pas à la norme canadienne ou au plus bas dénominateur commun». [6]

Un autre collectif, Québec-Plus démocratie, regroupant des membres connus du Parti Québécois, de Québec solidaire, de l’Action démocratique, du Parti vert et du milieu communautaire, affirme sa « profonde conviction que le statu quo ne doit plus durer; que la question de l’avenir politique du Québec continue d’être plus pertinente que jamais et qu’il importe d’y apporter une réponse satisfaisante. "Nous pensons que cette question nationale n’appartient à aucun parti politique en exclusivité ni à aucun groupe en particulier; elle relève de la responsabilité de chaque Québécoise et de chaque Québécois quelle que soit son origine ethnique»[7]. Le collectif se propose de jeter les bases d’une véritable démarche citoyenne pour débattre démocratiquement de l’avenir politique du Québec. Pour ce faire il propose des balises à une telle démarche citoyenne, notamment la création « de nouveaux espaces publics de délibération » en « s’inspirant d’expériences porteuses pour la démocratie participative et délibérative » telles que les audiences du BAPE, l’Institut du Nouveau Monde et les États généraux sur la réforme des institutions démocratiques du Québec tenus en 2002 et 2003. Ils affirment « la nécessité de confier la démarche à un organisme non partisan ou transpartisan, représentatif des divers courants d’opinion »

La démarche de l’Institut du Nouveau Monde (INM), dirigée par Michel Venne, se situe largement dans cette voie citoyenne. Il affirme qu’on ne réalisera pas la souveraineté en passant par les mêmes sentiers qu’en 1980 et qu’en 1995. Les temps changent. La polarisation use les convictions. Dans un ouvrage intitulé « Souverainistes, que faire? », il a proposé l’adoption d’un plan d’action préparatoire à la souveraineté « en mettant sur pied des services d’information aux citoyens, en provoquant des débats publics, partout sur le territoire, sur l’avenir politique du Québec, l’accession du Québec à la souveraineté pleine et entière. »[8] Cette démarche aurait l’avantage de rendre la souveraineté plus concrète aux yeux des citoyens eux-mêmes, des fonctionnaires ainsi que des élus qui seront chargé de la transition. Il propose également d’amorcer un processus d’adoption d’une constitution québécoise et de sortir du référendisme en enlevant au gouvernement le monopole sur la décision de déclencher un référendum. Ce référendum d’initiative populaire demanderait la signature d’une pétition ayant l’appui de 500 000 citoyens ou plus. Cette dernière proposition est également soutenue par le Comité des jeunes du Parti Québécois.

Le parti Québec solidaire se situe largement dans la mouvance d’une voix citoyenne, encore plus que dans celle de l’urgence de la souveraineté. Son programme électoral de 2007 énonce 25 engagements dont le 23ème prévoit la réalisation de la souveraineté « en organisant l’élection au suffrage universel d’une assemblée constituante qui reflètera la pluralité des tendances politiques. » Cette constituante aurait le mandat de « consulter la population du Québec sur son avenir politique et constitutionnel de même que sur les valeurs et les institutions politiques qui y sont associées. Les propositions de l’assemblée constituante seront soumises à la population québécoise par voie de référendum. Celui-ci comprendra deux questions distinctes : l’une portant sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec, l’autre, sur une constitution québécoise. »[9]

Ces propositions ont en commun l’avantage d’offrir à la population et à la société civile de prendre en charge la démarche vers la souveraineté. Elles supposent que « nos compatriotes n’ont pas besoin d’être convaincus par des porteurs de la bonne parole. Ils ont surtout besoin d’être informés de la manière la plus objective possible, de comprendre les enjeux, de comparer les différents points de vue, de se faire leur propre opinion et d’exprimer ce qu’ils désirent au plus profond d’eux-mêmes ».[10] Par ailleurs, une démarche citoyenne de démocratie participative aurait l’avantage de favoriser une vaste coalition électorale ou référendaire favorisant la souveraineté. Elle permettrait également de dégager les grands défis auxquels la souveraineté permettrait de s’attaquer et surtout d’établir l’urgence d’une solution à la question nationale pour y arriver. Elle prendrait charge en quelque sorte de ce mouvement d’éducation populaire à la souveraineté que le Parti Québécois ne réussit plus à assumer en son sein.

Par contre, si on veut qu’une telle démarche s’articule et qu’elle soit efficace, il faudra bien que le Québec y consacre des moyens suffisants. Cela peut difficilement se faire sans l’aide de l’État à moins d’accepter des mises de fonds et de ressources par un nombre suffisant d’organismes. Pour cela, il faudrait qu’un parti ou une coalition désireuse de résoudre la question nationale puisse être élu au gouvernement ou se constituer après l’élection. Or la dispersion des souverainistes dans plusieurs partis politiques peut jouer à l’encontre de cette « union sacrée » à l’égard de la souveraineté. Le parti ou la coalition se trouverait encore accaparé par la gouverne provinciale, avec tous les problèmes immédiats à régler, les tensions entre partis quant aux solutions à apporter, sans les moyens actuellement accaparés par le gouvernement fédéral. Par ailleurs, des partis politiques comme l’ADQ, Québec solidaire et le Parti vert, bien que regroupant certains souverainistes, n’ont pas mis la souveraineté en tête de liste de leurs priorités. On pourrait craindre qu’une entente de coalition ne mène pas à la souveraineté, mais à une autre « dernière, dernière, dernière chance » donnée au fédéralisme de se renouveler, autrement dit, au plus petit commun dénominateur entre des partis plus ou moins favorable à l’indépendance du Québec. Sur un autre plan, construire la souveraineté par la base évoque la défunte démarche « d’affirmation nationale » de Pierre-Marc Johnson, théorie selon laquelle la souveraineté serait un jour le couronnement de l’affirmation du Québec dans tous les secteurs plutôt qu’un moyen de son avancement. Les petits gestes d’affirmation nécessaires pour mener à ce résultat sont-ils encore possibles autrement qu’à la marge, dans un Québec de plus en plus dépourvus de moyens et sous emprise fédérale?

Rapatriement ou indépendance

D'autre options indépendantistes proposent d'axer la décision du peuple québécois sur le rapatriement des pouvoirs, laissant le choix à la population entre le rapatriement de certains ou de la totalité des pouvoirs. En regroupant les votes indépendantistes et autonomistes, les sondages montrent qu'autour de 70% de la population appuierait l'une de ces deux options. Cette décision pourrait faire l’objet d’une consultation populaire à options multiples comme le référendum écossais envisagé par le parti indépendantiste au pouvoir en Écosse. Elle pourrait aussi se prendre au moment d’une élection, en autant qu’un ou plusieurs partis en conviennent et demandent un mandat explicite de réaliser, soit un rapatriement substantiel des pouvoirs, soit l’accession du Québec à la souveraineté. Muni de ce rapport de force, le gouvernement du Québec engagerait la négociation avec le Gouvernement fédéral pour le rapatriement d'une partie des compétences détenues par ce dernier. En cas de refus ou de blocage, on appliquerait la règle établie lors du référendum de 1995, qu'après un délai d'un temps, le Québec entreprendrait unilatéralement le rapatriement des pouvoirs pour donner suite à une volonté populaire très majoritaire. Une fois mise en vigueur une constitution provisoire et, sur cette base, un rapatriement des impôts et des taxes, les autres compétences commenceraient à être exercées par Québec. Cette approche, si elle était proposée par un ou plusieurs partis politique, lors de la prochaine élection, et des suivantes si nécessaire, remettrait la question nationale à l’ordre du jour et, en cas de succès donnerait un mandat clair à l'Assemblée Nationale pour dénouer l'impasse constitutionnelle.

Une proposition similaire a été proposée par plusieurs ministres à René Lévesque dont Jacques Parizeau, Camille Laurin, Bernard Landry, Gilbert Paquette et Pauline Marois vers la fin de 1984 pour éviter le schisme du "beau risque" qui s'annonçait. « Pour progresser jusqu’à l’adhésion d’une majorité de la population, « le projet souverainiste doit s’enraciner dans les besoins et les préoccupations des Québécois et des Québécoises. La souveraineté du Québec n’est pas seulement une question juridique et constitutionnelle, mais économique et sociale.» [11] . Ce fut la première fois, du moins dans l'ère moderne, où il fut proposé de tenir une élection sur le rapatriement des pouvoirs essentiels du Québec liés directement à des objectifs sociaux et économique comme ceux d’une politique de plein emploi, des objectifs qui font l’objet d’un très large appui dans la population.

L'option rapatriement ou indépendance fut un temps partie du programme du parti libéral du Québec, en 1992. Les propositions du rapport Allaire, furent ensuite rejetées par Robert Bourassa en faveur de son appui au référendum de Charlottetown, ce qui mena directement à la création de l’ADQ. Elles impliquaient un rapatriement important de 22 pouvoirs au Québec. En cas de refus du gouvernement canadien, le rapport proposait la tenue d'un référendum sur l'indépendance complète.

Une proposition articulée d’un référendum sur les pouvoirs du Québec été publiée par Jean-François Lisée, ancien conseiller des premiers ministres Parizeau et Bouchard, sous le titre « Sortie de secours». Il analyse certains défis comme ceux posés par la démographie et la langue, la représentation du Québec à l’international et l’immigration, l’éducation et les affaires sociales, le prélèvement de la totalité des impôts par le Québec. Dans tous ces secteurs, dans un sondage auprès des Québécois effectué au moment de la rédaction du livre, on obtenait entre 57% et 77% d’appui au rapatriement des pouvoirs au Québec. Puis, à la question suivante, posée en 2000, « Si Lucien Bouchard tenait un référendum pour solliciter le mandat d’obtenir plus de pouvoirs pour le Québec au sein du Canada, un peu comme les pouvoirs dont nous venons de discuter, voteriez-vous oui ou non à ce référendum », 56% contre 36% auraient voté Oui, dont 62% chez les francophones". [12]

Synthétisant différentes propositions antérieures dans son ouvrage, la Nécessaire Alliance, l'ancien ministre Gilbert Paquette développe une proposition qu'il qualifie de "rapatriement ou souveraineté". "Une consultation populaire à options multiples ferait que les citoyens se prononceraient entre trois options, l’indépendance complète, le rapatriement d’une liste de pouvoirs au Québec dans le cadre fédéral, ou le statu quo. Ces options ont l’avantage de correspondre à la position constitutionnelle des trois principaux partis politiques au Québec. Une consultation populaire de ce type les amènerait à débattre leur option, particulièrement si un large débat collectif s’enclenchait autour de notre avenir national. Dépendant de l’option qui recueillerait la majorité des suffrages, le Gouvernement du Québec, quel qu’il soit, s’engagerait, fort de l’appui populaire, et peut-être de certains partis d’opposition, dans une négociation avec le Gouvernement fédéral soit pour le rapatriement de tous les pouvoirs à un État souverain du Québec, soit pour le rapatriement d’un liste partielle de pouvoirs dans le cadre de la constitution fédérale canadienne. (…) Toute nouvelle proposition de solution de la question nationale lors de la prochaine élection devra être crédible. Pour ce faire elle devra apparaître clairement comme menant tôt ou tard, infailliblement à un résultat qui ne dépende que de la volonté majoritaire du peuple québécois. De plus cette volonté majoritaire devra apparaître comme atteignable dans un proche avenir. Il faut donc ajouter un élément clef à la solution, une obligation de résultat. En cas de refus du gouvernement fédéral de négocier un transfert ordonné des compétences requises par le Québec, l’Assemblée Nationale et le Gouvernement du Québec seront autorisés, en vertu et au moment de l’appui majoritaire donné par la population, à procéder unilatéralement au transfert des pouvoirs, à commencer par la récupération de tous les champs de taxation permettant de dispenser les services actuellement assumés par le palier fédéral."[13]>

Notes

  1. Jean-Pierre Charbonneau et Daniel Turp, « Pour une démarche démocratique d’accession à la souveraineté du Québec », Le Devoir, 13 juin 2005
  2. Robert Perreault, « Souveraineté : un débat décisif », Le Devoir, 17 octobre 2005
  3. Robert Laplante, “Repenser le cadre stratégique”, L’Action Nationale, janvier 2004
  4. Claude Bariteau, « Un pacte pour fonder le Québec – une alternative à l’impasse référendaire », L’action nationale, mars-avril 2005
  5. Patrice Boileau, « Quelle voie électorale ? », Le Devoir, 18 mai 2006
  6. Yvon Leclerc et Claude Béland, “La voie citoyenne – Pour renouveler le modèle québécois », pp.255-257 et 272
  7. Collectif Québec-Plus démocratie, « Question nationale : il faut jeter les bases d’une « véritable démarche citoyenne », Le Devoir, 12 juin 2006
  8. Michel Venne, « La souveraineté, une idée forte à l’heure de la mondialisation », dans « Redonner sens à l’indépendance » publié par les IPSO (Intellectuels pour la souveraineté), p. 109
  9. Collectif, « Engagement électoraux de Québec solidaire », Novembre 2006, www.quebec
  10. Collectif Québec-Plus démocratie, op. cit.
  11. La nécessaire souveraineté, Le Devoir, 10 novembre 1984.
  12. Jean-François Lisée, voir références., p. 395
  13. La nécessaire alliance, voir références, pp.107-108

Références

  • Viva Ona Barkus, The dynamics of secession, Cambridge University Press, 1999
  • Jacques Brassard, L’accession à la souveraineté et le cas du Québec, Presses de l’Université de Montréal, 1976, 796 pages
  • Jean Charpentier, in collectif: Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : méthodes d’analyse du droit international : Autodétermination et décolonisation, Édition A. Pedone, Paris, 1984
  • Claude G. Charron, Ces experts que l'on cite à tort et à travers, Le Devoir, 3 septembre 1997
  • James Crawford, The Creation of States in International Law, Oxford, Clarence Press, 1979
  • Jean-François Lisée, Sortie de secours. Boréal, 2000, 430 pages
  • Bernard Landry, Séparatisme, souveraineté ou indépendance, www.lasemaine.ca, 29 janvier 2010
  • Gilbert Paquette, La nécessaire alliance, Édition Les Intouchables, 2008, 147 pages
  • Claude Bariteau, Un pacte pour fonder le Québec, L'action Nationale, Mars-Avril 2005.
  • Robert Laplante Revoir le cadre stratégique L'Action Nationale, janvier 2004