Ouvrage:Souveraineté du peuple et démarche constituante
Source initiale: Commission des États généraux sur la souveraineté, Forger votre avenir
Les États généraux sur la souveraineté (2012-1014) ont permis d'abord de dresser une liste de 92 blocages par lesquels le cadre canadien actuel nuit au développement et à l’épanouissement du peuple québécois. La principale cause de ces blocages réside dans le cadre constitutionnel canadien imposé unilatéralement au peuple du Québec en 1982. Plus de trente ans plus tard, cet ordre constitutionnel illégitime n’a toujours pas reçu le consentement de la majorité du peuple québécois, ni d'ailleurs de ses députés qui le souligne régulièrement. Et pourtant, il continue de nous régir, représentant une entrave à notre plein épanouissement et à la prise en charge de notre développement et de notre destin.
Dans le cadre des États généraux sur la souveraineté, le chantier sur la souveraineté populaire et le pouvoir constituant du peuple québécois a été créé pour tracer les voies par lesquelles le peuple québécois pourra, pour la première fois de son histoire, construire lui-même le cadre constitutionnel dans lequel il pourra s’épanouir comme nation et ainsi définir lui-même ses projets et les moyens de la réaliser. Le texte intégral de ce chantier, extrait de Forger notre avenir - Bilan des États généraux sur la souveraineté est présenté ici. Il propose d'entreprendre une démarche constituante fondée sur le principe de la souveraineté populaire du peuple québécois.
Le régime canadien : un ordre constitutionnel illégitime
Du point de vue québécois, le cadre constitutionnel canadien souffre d’une double illégitimité sur le plan démocratique. D’abord, ce cadre a été imposé au peuple québécois à la suite du rapatriement unilatéral de la constitution par le Gouvernement canadien en 1982, et ce, sans que le peuple ne soit consulté ni pour la rédaction de la nouvelle constitution ni pour son adoption. Alors que plusieurs peuples de la planète se donnent de nouvelles constitutions depuis le milieu du XXe siècle en adoptant celles-ci par voie référendaire, nous n’avons jamais été amenés à nous prononcer sur la Loi constitutionnelle de 1982 à laquelle nous sommes pourtant aujourd’hui soumis par défaut. Le peuple québécois a été complètement tenu à l’écart de ce processus constituant.
En deuxième lieu, cette constitution n’a jamais été ratifiée par les élus du peuple québécois à l’Assemblée nationale. On se rappellera que le texte de cette loi fondamentale avait été rédigé par les représentants du gouvernements du Canada et gouvernements des autres provinces canadiennes à la suite d’une entente passée entre eux seuls, lors de la fameuse « nuit des longs couteaux », en excluant volontairement le Québec, « province » pourtant fondatrice de l’ensemble canadien en 1867 avec l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Il s’agit là d’une double illégitimité dont on ne trouve que très peu d’exemples parmi les autres pays de la planète.
Le danger de légitimer une constitution illégitime
Or, suivant la pratique de la coutume britannique sur laquelle se fonde le régime politique canadien, la constitution canadienne et les institutions politiques émanant de ce « coup d’État constitutionnel » risquent avec le temps de s’imposer comme légitimes. Car en continuant de se soumettre sans broncher à cette constitution, en continuant de respecter en tout point les dispositions qu’elle renferme et en refusant de décrier son caractère illégitime, les représentants de tous les partis à l’Assemblée nationale contribuent ainsi indirectement à cautionner et à fournir une forme de légitimité à cet ordre constitutionnel canadien. Ainsi, cette posture contradictoire des représentants élus à l’Assemblée nationale qui consiste, d’une part à rappeler de manière épisodique et circonstancielle leur refus unanime de ratifier la Loi constitutionnelle de 1982, tout en continuant, d’autre part à valider au quotidien ce cadre constitutionnel illégitime, introduit une équivoque fatale dans notre conscience politique collective.
Si le peuple accorde son suffrage à des femmes et à des hommes pour le représenter, ceux-ci, une fois élus, acceptent volontairement de prêter serment d’allégeance à un monarque étranger et à son représentant, chef d’État de la « province de Québec », le lieutenant-gouverneur. Les élus de l’Assemblée nationale du Québec contribuent ainsi à fournir une légitimité à un système politique érigé sur la négation de la souveraineté du peuple. Ce parjure obligé des élus, qui est une humiliation rituelle du peuple à travers ceux qui le représentent, mais qui est vu par les députés comme une simple formalité sans grande portée faisant désormais partie de nos mœurs politiques, n’est pas sans conséquence. Cette pratique contribue directement à accroître l’écart qui sépare actuellement l’élite politique du peuple, les élus des électeurs. On dit les Québécois dépolitisés, peu intéressés par les questions touchant la chose publique et désenchantés. Or, cette posture contribue directement à cet état de cynisme ambiant.
Dans une perspective plus large, il est risqué, pour un peuple placé en minorité comme la nation québécoise dans l’ensemble canadien, de sous-estimer les conséquences à long terme d’une telle ambiguïté constitutionnelle et de cet état de soumission collective volontaire au régime canadien. La constitution d’un État représente en quelque sorte la « colonne vertébrale » d’une nation. Elle est ce qui procure à une communauté politique sa cohérence structurelle interne et externe, mais aussi ce qui fournit à l’ensemble des institutions politiques leur légitimité et leur bien fondé en droit.
L'effet sur l'incapacité actuelle de résoudre notre question nationale
L’un des effets politiques les plus visibles de cet état d’indétermination constitutionnelle est certainement l’incapacité collective des Québécois de décider franchement de leur statut politique. Cela fait près d’un demi-siècle que le peuple québécois oscille entre deux options politiques, incapable de se décider clairement pour l’idée de faire du Québec un État souverain, ou au contraire, pour une adhésion définitive à l’État canadien. Dans ce dernier cas autour de 40% des Québécois fédéralistes demandent des changements profonds à la constitution canadienne, alors que la formule d’amendement, et surtout la volonté du Canada de maintenir le statu quo, empêche toute modification substantielle au régime politique qui nous a été imposé.
De fait, une majorité de Québécois est incapable jusqu’à maintenant, d’apporter une solution définitive et claire à notre question nationale, qui demeure sans solution. Ensemble, l’option souverainiste et l’option fédéraliste autonomiste recueillent dans tous les sondages plus de 70% d’appui, mais aucune d’elle n’est parvenue jusqu’ici à obtenir un soutien majoritaire clair qui permettrait de trancher pour de bon cette question. C’est ainsi que le statu quo perdure même s’il n’obtient en vérité l’appui que d’une minorité de Québécoises et de Québécois.
Pour une redéfinition du projet indépendantiste sur la base de la souveraineté du peuple
Le mouvement indépendantiste ne peut continuer à ignorer cet état d’ambiguïté constitutionnelle et d’indécision entre les options qui s’offrent au peuple québécois. Aussi, importe-t-il qu’il renoue avec l’idée que le projet indépendantiste constitue une réponse non seulement à la question du statut politique du Québec, mais aussi, à cet état d’illégitimité démocratique. Il importe également que le mouvement indépendantiste convie toutes les citoyennes et tous les citoyens à y travailler de concert, quelle que soit leur option actuelle, souverainiste ou fédéraliste, ou leurs allégeances partisanes, pour sortir de cet état d’illégitimité démocratique en misant sur le droit du peuple québécois de choisir son régime politique. C’est ainsi qu’on pourra arriver démocratiquement au résultat que le Québec cherche à obtenir depuis un demi-siècle : un cadre politique qui respecte toutes les composantes de notre peuple.
Les États généraux sur la souveraineté en appelle donc au renouvellement de ce projet en plaçant au cœur de ses propositions, le principe de la souveraineté du peuple, principe qui fonde le pouvoir constituant dont dispose le peuple québécois. Ces dernières années, le projet indépendantiste en est malheureusement venu, dans l’opinion publique, à être surtout réduit au seul aspect de la souveraineté de l’État du Québec. Or, ce projet ne saurait constituer une réponse à cet état d’illégitimité démocratique, s’il persiste à mettre la souveraineté de l’État devant celle du peuple. En agissant de la sorte, le mouvement indépendantiste se trouve en quelque sorte à légitimer, contre toute logique, l’invalidation de la souveraineté du peuple. Il s’agit là d’une incohérence grandement dommageable, car elle ne permet pas de mettre en lumière cette négation du pouvoir du peuple québécois, empêchant du même coup la souveraineté populaire de se révéler et son pouvoir constituant de s’exercer.
De la souveraineté des parlements à la souveraineté du peuple
Suivant le principe démocratique, la seule puissance politique légitime est celle qui émane du peuple. C’est la souveraineté du peuple qui fonde la souveraineté d’un État. La légitimité des institutions politiques ne peut émaner que lorsqu’elles sont l’expression de la volonté collective du peuple. Et une constitution est le produit initial de cette légitimité, comme l’acte fondateur par lequel tout l’édifice politique acquière son fondement démocratique et légal.
Or, la tradition britannique qui fonde l’ordre constitutionnel canadien consacre plutôt la souveraineté des parlements, celui de la Chambre des communes et du Sénat, au niveau fédéral et de l’Assemblée nationale, au niveau provincial au Québec. La constitution n’est pas conçue comme l’œuvre du peuple, mais des gouvernants, non pas des citoyens, mais des législateurs. Ainsi, depuis la toute première constitution canadienne, soit l’Acte constitutionnel de 1791, jusqu’à la Loi constitutionnelle de 1982 en passant par l’Acte d’Union de 1840 et l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, la constitution a toujours été l’œuvre d’une élite politique, que ce soient les représentants métropolitains et coloniaux de l’Empire britannique, du pouvoir politique canadien-anglais des colonies ou d’une certaine élite canadienne-française.
Le peuple québécois tenu à l'écart de sa constitution
Le peuple québécois a toujours été tenu à l’écart des processus de rédaction ayant conduit à ces différents ordres constitutionnels, de même qu’il n’a jamais été consulté au moment même de leur adoption politique. Le peuple québécois apparaît ainsi dans cette perspective davantage comme un sujet gouverné, que comme un peuple capable d’agir politique, capable d’exercer sa souveraineté première et fondamentale. Aussi, cela se traduit-il par l’absence complète du mot « peuple » dans la Loi constitutionnelle de 1982, de même que dans tous les autres documents constitutionnels canadiens ou britanniques antérieurs. La faible part de souveraineté que le régime canadien tend à consentir au peuple ne tient essentiellement qu’à le consulter tous les quatre ans pour qu’il puisse choisir ses représentants.
Tout l’édifice constitutionnel canadien est érigé sur la négation de la souveraineté du peuple. Il est temps que le projet indépendantiste s’offre comme une réponse à cet état qui bafoue la souveraineté fondamentale du peuple québécois. Cela exige de replacer le peuple québécois au cœur du projet d’indépendance du Québec.
Le principe d'autodétermination
Le droit international reconnaît à tous les peuples le principe de l’autodétermination. Le peuple du Québec, en tant que nation politiquement organisée, peut se prévaloir de ce principe politique qui implique deux dimensions. Dans sa dimension externe, ce principe stipule que l’on ne peut obliger un peuple à vivre dans un ensemble politique contre son gré. Aussi, les peuples peuvent-ils démocratiquement choisir le statut politique de leur communauté politique. C’est de ce pouvoir dont le peuple québécois s’est prévalu lors des référendums de 1980 et de 1995.
Dans sa dimension interne, le principe de l’autodétermination stipule que les peuples ont le droit de se constituer en décidant de la nature du régime politique dans lequel ils veulent vivre. C’est précisément ce droit qui a été bafoué lors du « coup d’État constitutionnel » de 1982. Les institutions politiques qui régissent actuellement notre nation ne sont pas celles qu’a choisies le peuple québécois, celles qu’il se serait lui-même données, puisqu’elles lui ont été imposées à la suite de la Conquête britannique et par la suite reconduite dans les différentes constitutions politiques subséquentes. Depuis l’Acte constitutionnel de 1791, jusqu’à à Loi constitutionnelle de 1982, toutes les constitutions canadiennes ont consacré la nature britannique de nos institutions. Toutes ces constitutions ont tenu le peuple québécois dans un état de soumission politique.
Une constitution par le peuple et pour le peuple québécois
Renouveler le projet souverainiste exige de prendre acte de cet état de fait dans lequel se trouve la nation québécoise. C’est faire de cette question un enjeu central de son discours et de son action politique. Car l’absence de constitution, de même que le fait de continuer à accepter un ordre constitutionnel illégitime, a des conséquences dommageables pour le peuple québécois. Au peuple québécois d’exercer son pouvoir constituant afin qu’il se donne sa propre constitution politique, en remplacement de cette constitution canadienne illégitime. Il s’agit ici pour les Québécois de se donner des institutions politiques bien à eux, qui soient le reflet de la manière dont ils se conçoivent comme nation en l’inscrivant au sein de leur loi fondamentale.
Eu égard à la constitution canadienne et nonobstant le fait que le gouvernement du Québec n’a jamais ratifié la Loi constitutionnelle de 1982, le peuple québécois dispose déjà de toute la latitude et la légitimité nécessaire pour se lancer dans une telle entreprise constituante. Rien en effet dans la constitution canadienne ne lui interdit. Aussi, par exemple, la province de Colombie-Britannique s’est-elle dotée de sa propre constitution en 1996. Il s’agit certes d’une constitution très minimale qui vise essentiellement à encadrer les pouvoirs du lieutenant-gouverneur et du gouvernement de cette province. De plus, aucune formule d’amendement particulière n’est enchâssée dans cette loi, laquelle peut donc être modifiée comme toutes les autres lois ordinaires adoptées par cette législature provinciale. On peut même dire que cela est exceptionnel pour des États fédérés comme les provinces canadiennes de ne pas avoir leur propre constitution. Tous les États de la fédération des États-Unis d’Amérique ont leur propre constitution, laquelle est un document généralement plus concis que la constitution qui régit l’union. Les Länder allemands ont chacun leur propre constitution, de même que les 31 États fédérés du Mexique. Le peuple québécois pourrait dès aujourd’hui enclencher une démarche constituante. Celle-ci est non seulement légitime, mais légale en droit canadien.
Il y a eu par le passé différents projets de constitution pour le Québec. Déjà en 1960, l’Alliance laurentienne, l’une des premières formations politiques indépendantistes, publiait un projet de constitution du Québec, La Constitution de la République de Laurentie . En 1969, les États généraux du Canada français ont conclu à la nécessité pour le Québec de se donner sa propre constitution, suivant le principe que l’« autorité constituante appartient au peuple québécois » . En 1984, le député de Vachon, David Payne, publiait le projet Pour une constitution du Québec . L’année suivante, le juriste Jacques Yvan Morin a préparé un avant-projet de Constitution du Québec. Dans le cadre des préparatifs entourant le dernier référendum de 1995, le gouvernement de Jacques Parizeau a préparé un projet de constitution initiale du Québec souverain, laquelle aurait remplacé la constitution canadienne le lendemain d’une victoire du Oui . En 2005, le député de Mercier, Daniel Turp, a publié un projet de constitution, Nous, peuple du Québec . Deux ans plus tard, il déposait à l’Assemblée nationale un projet de Constitution du Québec, projet qui ne fût toutefois jamais adopté. Ce ne sont là que quelques exemples d’initiatives récentes pour que le Québec puisse se donner sa propre constitution.
La plupart de ces propositions supposaient que les députés de l’Assemblée nationale se donnent au Québec une constitution, certaines dans un cadre d’indépendance politique, d’autres dans le cadre canadien. La démarche que propose la Commission des États généraux ne suppose pas l’apriori canadien, ce qui ne serait pas cohérent avec le principe de la souveraineté du peuple. Nous croyons qu’il serait tout à fait légitime que la constitution québécoise diverge en tout ou en partie de la constitution canadienne au terme de l’exercice constituant . Puisque la constitution canadienne n’a pas été élaborée, soumise ou adoptée par le peuple Québécois, celle-ci ne saurait avoir préséance sur la constitution que ce dernier pourrait lui-même se donner.
Par ailleurs, une telle démarche constituante s’inscrirait parfaitement dans le prolongement de certaines grandes législations québécoises lesquelles jouissent déjà d’un caractère quasi constitutionnel, comme le Code civil du Québec, la Charte des droits et libertés de la personne (1976), la Charte de la langue française (1977), la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec (2000), de même que le serment de loyauté envers le peuple québécois que doivent prononcer tous les députés élus à l’Assemblée nationale, à côté de celui d’allégeance à l’égard de la couronne britannique qu’ils doivent toujours prêter , etc. Il manque toutefois encore à cet ensemble de lois une structure globale, laquelle ne peut venir que d’une véritable démarche constituante complète. Produire un tout cohérent, qui puisse véritablement tenir lieu de loi fondamentale du peuple du Québec, œuvre fondatrice des institutions politiques du Québec. Il manque encore à ces éléments législatifs une super loi fondatrice émanant du peuple du Québec.
Référendum et démarche constituante du peuple québécois
Cette proposition de démarche constituante représente une remise en cause de la stratégie officielle du camp souverainiste, notamment de son principal parti politique, le Parti Québécois. Dans cette stratégie, la démarche constituante a toujours été reléguée au second plan, puisque ne devant s’amorcer qu’à la suite d’un référendum gagnant sur l’indépendance du Québec.
La question de l’indépendance du Québec, soit celle portant sur son statut politique, est une question sur laquelle le peuple du Québec devra à nouveau décider dans le cadre d’une consultation populaire. C’est par référendum que les Québécois règleront un jour cette question. Toutefois, la question qui se pose et que la dernière campagne électorale québécoise est venue éclairer avec encore plus d’acuité porte sur ce que les souverainistes ont à offrir aux Québécois avant de pouvoir organiser une consultation sur l’indépendance. La stratégie souverainiste actuelle ne fait qu’attendre le grand jour, on accepte servilement de se soumettre à la Loi constitutionnelle de 1982, qui nous a été imposée contre notre gré, érigée sur la négation de la souveraineté de notre peuple. Déclarer l’indépendance du Québec par voie de référendum est une chose, s’engager dans une démarche constituante en est une autre. Et celles-ci, bien que distinctes, sont néanmoins complémentaires et intimement liées, et devraient donc être au cœur du projet souverainiste. Rien n’exclut toutefois qu’elles se règlent ensemble au terme de l’exercice constituant, par un référendum proposant une nouvelle constitution qui implique un changement de statut politique par exemple.
Avant de pouvoir à nouveau convier les Québécois à une autre consultation populaire sur la question nationale, il importe de corriger le caractère illégitime et antidémocratique du cadre constitutionnel qui nous régit. Cette question ne saurait attendre la résolution du statut politique du Québec pour pouvoir être abordée. Elle est même un élément indispensable pour dépasser l’impasse dans laquelle nous sommes enfermés depuis le « match nul » du référendum de 1995. Il faut que le peuple du Québec puisse dès maintenant s’exprimer plus largement sur les institutions politiques qui sont les plus à même de traduire ses ambitions collectives, sur les grands principes du vivre-ensemble, sur la manière dont notre communauté politique devrait être organisée, sur la nature des institutions politiques qui sont les plus à même de refléter ce que nous sommes comme peuple, etc. Bref, qu’il se dote d’une loi fondamentale qui permette d’encadrer dans un tout cohérent ces grands principes structurants.
En ce sens, la question du statut politique du Québec en est une qui doit s’inscrire dans cette réflexion générale. C’est dans la perspective plus générale de la question du régime politique que la question du statut politique du Québec trouvera son règlement. Cette question ne saurait être détachée de ce processus constituant, puisqu’au contraire, elle doit s’inscrire à l’intérieur de ce vaste processus de reprise en main par le peuple de son destin collectif. Le projet de faire du Québec un pays n’a véritablement de sens que si celui-ci s’inscrit dans une démarche plus globale – celle par laquelle le peuple du Québec, exerçant son pouvoir constituant, pourra se donner des institutions politiques bien à lui. La question du statut politique que le peuple québécois voudra bien donner à ces institutions doit être saisie comme un aspect de cette démarche constituante plus large.
Pour une démarche populaire et non partisane
Cette démarche constituante fondée sur la souveraineté populaire marquerait du coup un changement important dans la manière dont la classe politique au Québec, souverainiste comme fédéraliste, a jusqu’ici abordé la question constitutionnelle. Cette question a en effet jusqu’ici été l’apanage d’experts, de juristes, de politologues et de constitutionnalistes. Avec cette nouvelle approche fondée sur la souveraineté populaire, on met ici le peuple au cœur de la démarche constitutionnelle, lequel pourra bien sûr s’appuyer dans ses travaux sur l’expertise de ces personnes ressources. Qui plus est, cette démarche romprait également avec la manière dont cette question a surtout été traitée, notamment dans les années 1980-1990. À cette époque, aborder cette question consistait essentiellement à concevoir quels changements apporter à la constitution canadienne pour la rendre compatible avec les « demandes traditionnelles du Québec ». Cette nouvelle démarche est tout autre, puisqu’elle vise à laisser le peuple québécois imaginer une constitution qui reflète sa conception du pouvoir, sa vision de la société et ses ambitions collectives, qu’elle soit conforme ou non à ce que prévoit la Loi constitutionnelle de 1982.
Si ce projet émane d’une véritable démarche populaire avec une assise démocratique large et non partisane, à la façon dont a pu l’être, en 1991, la Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec (Commission Bélanger-Campeau), celle-ci aura alors tout ce qu’il faut pour réussir. On voit mal en effet comment une majorité de Québécois pourrait s’opposer à une constitution à laquelle ils auraient contribué à la rédaction, surtout lorsqu’il s’agira d’opposer celle-ci à la Loi constitutionnelle de 1982. On peut sans peine imaginer qu’une majorité de Québécois saura alors opter pour la première plutôt que la seconde.
Sur l’assemblée constituante
Cette démarche constituante impliquera la mise sur pied d’une assemblée composée de citoyens de tous les horizons et indépendante de l’Assemblée nationale, et dont le seul mandat sera d’organiser cette démarche constituante et de rédiger une constitution pour le Québec. Il faut en effet éviter que les débats soient imprégnés par la partisanerie politique, en évitant de privilégier uniquement le programme du parti majoritaire à l’Assemblée nationale. Au terme de ces travaux, cette assemblée sera dissoute, une fois l’adoption de cette constitution par le peuple du Québec. Une fois cette constitution adoptée, celle-ci aurait alors préséance sur la constitution canadienne.
La Commission nationale des États généraux sur la souveraineté estime qu’il serait préférable que l’Assemblée nationale du Québec initie une telle démarche pour lui permettre d’opérer avec un solide appui logistique. Toutefois, advenant le refus de cette institution d’aller de l’avant avec cette démarche, celle-ci pourrait alors être initiée directement par les grandes organisations de la société civile. Cette assemblée serait composée de membres élus au suffrage universel par le peuple québécois et serait indépendante des partis politiques, de l’Assemblée nationale et du Gouvernement du Québec. Il est important pour le succès de cette démarche que la composition de cette assemblée reflète le plus possible la diversité du peuple québécois. En particulier, une place et un rôle particulier seront reconnus dans cette démarche aux représentants des nations amérindiennes et inuit du Québec, place et rôle qui seront déterminés de concert avec ces derniers. Un tel statut particulier pour les Premières Nations est conforme à la résolution adoptée en 1985 par les élus de l’Assemblée nationale qui stipule que « les peuples aborigènes du Québec sont des nations distinctes qui ont droit à leur culture, à leur langue, à leurs coutumes et traditions ainsi que le droit d'orienter elles-mêmes le développement de cette identité propre ».
Indépendamment du mode de participation que choisiront les peuples autochtones. Cette assemblée constituante pourrait par exemple être composée comme suit: 101 constituants (nombre impair), dont 51 membres élus au suffrage universel par les citoyens du Québec; 25 membres sélectionnés par le biais d’un tirage au sort (suivant le modèle de sélection des jurés dans le cadre de certains procès criminel), sur la base d’une liste de citoyens volontaires, 25 membres issus des corps d’élus des municipalités du Québec. Bien d'autres modalités sont évidemment possible.
Un texte constitutionnel compréhensible et succinct.
Pour s’assurer que le fruit de cette démarche parvienne à recueillir l’appui nécessaire à son adoption dans le reste de la population, il importe que la constitution ne s’en tienne qu’à des principes généraux, qu’elle ne se limite qu’à définir les grandes structures fondamentales de l’État du Québec. Il faudra alors à tout prix éviter une approche du type « liste d’épicerie ». Ce projet de constitution ne doit pas servir à l’élaboration d’un projet de pays, à régler tous les problèmes de la société ou à définir dans le détail les politiques sociales, économiques, écologistes, de défense, de solidarité internationale, etc., à venir. Une constitution sert à fonder un État et non à définir des politiques. Si l’on s’en tient à une approche sommaire, une telle démarche constituante pourra réussir. Aussi, importe-t-il que le texte de cette constitution soit non seulement accessible au plus grand nombre, mais qu’il soit également succinct.
D’ailleurs, la plupart des constitutions du monde sont des documents concis. La constitution des États unis d'amérique de 1787 par exemple ne comptait que 10 pages (4 400 mots) et celle adoptée par les révolutionnaires français en 1791, à peine 27 pages (12 000 mots). Plus récemment, en 2006, les Monténégrins lors de leur accession à l'indépendance se sont donnés une constitution qui ne compte que 22 pages (10 000 mots). Une fois cette constitution adoptée, rien n’empêche qu’elle puisse ensuite faire l’objet de modifications, notamment une fois que la question du statut politique du Québec soit réglée. Une constitution doit toujours être perçue non comme une œuvre immuable, mais perfectible, et par la suite, amendable, ce qui, en passant n’est pas le cas de la constitution canadienne, comme vient de l’apprendre à ses dépens le gouvernement du Canada concernant la réforme du sénat.
Sans présumer du texte final de cette constitution et des éléments qui pourraient en faire partie, on peut toutefois souligner certains grands principes politiques qui font largement consensus au Québec et que l’on pourrait retrouver dans la future constitution du Québec.
Parmi ces grands principes, il y a bien sûr d’abord celui de la primauté de la souveraineté du peuple. Toute la démarche constituante elle-même, fondée sur une réappropriation par le peuple de ses institutions politiques, trouverait dans une telle réaffirmation constitutionnelle sa consécration logique. Dans le même sens, cette constitution pourrait être érigée sur le modèle républicain, qui placerait donc à la tête de l’État non pas un monarque étranger, comme dans le présent ordre canadien, mais un président élu au suffrage universel. On peut également penser à la reconnaissance du français comme langue officielle et commune du Québec comme élément incontournable dans cette constitution. Ce qui serait une manière de consacrer la portée constitutionnelle de l’actuelle Charte de la langue française. Les nations amérindiennes et inuit pourraient également obtenir la reconnaissance d’un statut particulier, lequel devra être défini de concert avec les représentants de ces communautés, au terme précisément des travaux de cette assemblée constituante. Cette constitution pourrait également proclamer formellement le caractère laïc de l’État québécois et le caractère inaliénable du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce ne sont là que quelques-uns des grands principes politiques qui font largement consensus parmi les Québécois que l’on pourrait retrouver dans cette constitution du Québec.
Conclusion
La Commission nationale des États généraux sur la souveraineté, en concluant son rapport, a invité le peuple québécois à s’engager dans une démarche constituante. Conformément au principe de la souveraineté populaire, le projet indépendantiste doit se transformer pour s’offrir aujourd’hui comme une réponse au caractère illégitime de l’ordre constitutionnel canadien. Il doit convier tous les citoyens et toutes les citoyennes du Québec, quelles que soient leurs options quant au statut du Québec, à un grand exercice démocratique comme jamais le Québec n’en a connu, mais pour lequel d’autres peuples nous ont montré la voie . Après un demi-siècle de débats de la question nationale, il est grand temps de la résoudre pour définir entre Québécoises et Québécois les voies de notre avenir.
Démarche constituante et partis politiques |
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Dans le contexte politique actuel, l'opposition souverainiste et nationaliste est divisée en plusieurs partis politiques (PQ, CAQ, QS et ON), face au gouvernement libéral, le plus soumis au Canada de l'histoire du Québec. Sur le plan constitutionnel, la division du vote maintient le statu quo, une option rejetée par la très grandes majorité des gens. Une démarche constituante fondée sur le principe de la souveraineté populaire, peut au contraire rassembler toutes les québécoises et tous les québécois de bonne volonté autour des projets et des compétences à prévoir dans la constitution du Québec pour les réaliser; une voie "royale" vers l'émancipation collective du peuple québécois. Par la suite, un référendum donnera à cette constitution l'indispensable légitimité populaire de la déclaration d'indépendance. |