Ouvrage:Un pays en tête/Évolution internationale
Faisons d’abord une brève histoire des indépendances. En Amérique, le mouvement de libération des peuples a touché, au cours du 18e siècle, presque toutes les anciennes colonies de l’Espagne, du Portugal et de l’Angleterre, dont les États-Unis d’Amérique. Le Canada fut l’une des dernières colonies à acquérir de la Grande-Bretagne une personnalité internationale partielle par le Statut de Westminster en 1931, mais il n’a pu adopter sa propre constitution qu’en 1982, tout enfermant le Québec dans un statut provincial contre sa volonté. Le Québec demeure donc à ce jour, en Amérique, la seule nation développée encore dépendante politiquement d’un autre État.
La décolonisation en Afrique et en Asie s’est réalisée sous l’impulsion de la déclaration des Nations Unies de 1960 octroyant aux peuples colonisés un droit à l’autodétermination externe. L’indépendance s’est faite souvent à l’initiative du pays colonisateur, parfois suite à un soulèvement ou pour éviter une révolte de la population locale. La plupart du temps, les négociations se sont enclenchées sous l’impulsion d’une alliance de groupes ou de mouvements favorables à l’indépendance travaillant de concert malgré leurs différences. Dans certains cas, comme celui des pays de l’Afrique de l’Ouest, on est passé par une courte étape d’autonomie (1958-1960), le colonisateur français gardant un temps ses compétences dans la défense, la diplomatie, la monnaie et le commerce extérieur. Dans d’autres cas, on a tenu un référendum, généralement pour adopter une constitution confirmant l’accession du pays à l’indépendance.
Les cas récents de sécession en Europe, suite à la dislocation de l’empire soviétique, l’éclatement de la Yougoslavie et le « divorce de velours » en Tchécoslovaquie ont causé certaines surprises. Selon l’expert en droit international James Crawford (1979, 2007), on oublie souvent que « la sécession a été, jusqu’à ce siècle, le mode le plus marquant, et également le plus habituel de création de nouveaux États ». En fait, depuis 1945, date de la création de l’ONU, le nombre d’États membres a plus que doublé pour atteindre 193. En Europe seulement dans les 30 dernières années, 11 nouveaux pays indépendants ont fait sécession d’un État plus large (voir figure 12).
Tous ces cas récents de sécession par la voie démocratique en Europe ont plusieurs points en commun avec le Québec. Ils se situent dans des pays économiquement avancés. La plupart des pays sont passés directement de membre d’une fédération, à un statut d’État indépendant, sans nécessairement passer par un accroissement de leur autonomie comme statut intermédiaire. Plusieurs de ces pays ont atteint l’indépendance par simple vote majoritaire de leur parlement élu par la population. Par la suite, on assiste souvent à un référendum de ratification.
Ces nouveaux pays se sont détachés d’un État jouissant d’une reconnaissance internationale, que la constitution de cet État ait prévu ou non le droit de sécession des États membres. La plupart de ces nouveaux États ont ensuite été reconnus rapidement par la société internationale comme membre des Nations-Unies. Ils ont adhéré à diverses associations d’États souverains tels que l’Union européenne, l’OCDE, le Conseil nordique ou l’OTAN.
En Europe toujours, l’Écosse, la Catalogne et la Flandre aspirent largement à l’indépendance par rapport au pays qui les englobe actuellement. Ce sont des nations qui partagent avec le Québec plusieurs caractéristiques. Ce sont des sociétés dotées d’un intense vouloir-vivre collectif, possédant toutes les caractéristiques d’une nation, s’intégrant autour d’une langue commune différente du pays qui les englobe (sauf dans le cas de l’Écosse) et d’une culture distincte solidement enracinée. Elles disposent d’un gouvernement national dont l’autonomie a été conquise progressivement par des luttes politiques contre l’État central, grâce aussi à une émergence de plus en plus forte des institutions de la société civile. Au sein des quatre États, on retrouve plus d’un parti prônant l’indépendance, ce qui est également le cas au Québec.
À travers ce bref regard sur l’émancipation des peuples au cours de l’Histoire, l’indépendance du Québec apparaît tout le contraire d’un « crime contre l’histoire du genre humain » (selon des paroles attribuées à l’ancien premier ministre canadien P. E. Trudeau, le 22 février 1977). C’est une aspiration normale, inscrite dans l’histoire de l’humanité, par laquelle la plupart des nations se donnent les moyens d’agir par eux-mêmes, tout en apportant leurs propre contribution, irremplaçable comme celle des autres nations, à l’avenir de l’humanité.