Ouvrage:Un pays en tête/Combattre la pauvreté et la précarité

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« Vous avez une job à faire, une seule : vous organiser pour que la société permette aux gens de s’épanouir et de satisfaire leurs besoins. Tous, qui que nous soyons, devons avoir une chance égale de manger, de travailler et de nous faire soigner ». – Michel Chartrand1

Le déséquilibre fiscal, les dédoublements des juridictions et la dispersion de nos pouvoirs collectifs entre Ottawa et Québec sont des obstacles majeurs pour assurer aux personnes une sécurité de revenu et lutter contre la pauvreté et la précarité pour une plus grande solidarité sociale.

La précarisation des personnes malgré la croissance économique.

L’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de s’accroître dans notre société. « Après une relative stabilité entre 1976 et 1989, la disparité des revenus des ménages après impôts est désormais de « grande ampleur », pouvait-on lire dans une étude intitulée « Inégalité et Redistribution du revenu au Canada, 1976 à 2004 ». Dans les faits, depuis le début des années 90, les familles à faible revenu ont vu leurs ressources s'effriter de 8 % en moyenne. Au même moment, les ménages les plus fortunés du Canada ont bénéficié d'une hausse de revenu de 24 % alors que la classe moyenne a fait des gains d'environ 8 %, indiquent les spécialistes fédéraux du chiffre. » 2 Par ailleurs, entre 1982 et 2000, en 20 ans, les salaires totaux versés dans l’économie québécoise augmentaient de 130 %, alors que les revenus des entreprises gonflaient de 496 % 3. La croissance économique n’est donc pas synonyme de croissance de l’emploi ou du revenu des personnes. Le nombre de personnes au travail augmente moins rapidement que la richesse, les revenus des salariés, moins rapidement que ceux des entreprises.

La décennie « Harper » n’a surement pas amélioré les choses. Plus récemment, selon une note de recherche rendue publique par l’OCDE le 30 avril 2014, le Canada est le pays, après les États-Unis, où les fruits de la croissance ont été le plus accaparés par les plus riches depuis les 30 dernières années4, à cause du désengagement du Canada des objectifs de justice sociale. Selon l’OCDE, les 20 % les plus riches se sont approprié environ les deux-tiers de la croissance des revenus pour la même période.

Avec la « flexibilisation » du travail, la part des personnes occupant un emploi précaire dans l’emploi total au Québec est passée de 16,7 % en 1976 à plus de 37,2% en 2009 ! Présentement, 13,5 % de la population a le statut de travailleur autonome, ce qui représente 560 000 personnes5. S’ajoutent à ces personnes les travailleurs déclassés, une large partie des immigrants et de personnes diplômées travaillant dans les domaine culturels et communautaires. On désigne cette catégorie croissante de personnes sous le terme de « précariat ». Pour eux, notre société offre encore peu de solution pour leur sécurité du revenu.

Un revenu de base universel

Un élément central de la lutte à la pauvreté et à la précarité est la mise en place progressive d’un revenu de base universel (RBU), que d’autres appellent « revenu de citoyenneté » 6 ou « allocation universelle » 7. Un revenu de base universel consiste à verser sans condition à tous les citoyens un revenu de base cumulable avec tout autre revenu, y compris les étudiants, les conjoints au foyer et les travailleurs à temps partiel, tout en maintenant une incitation au travail. Les gains additionnels cumulés avec le RBU sont soumis à un impôt progressif sur le revenu, ce qui fait que le citoyen paie des impôts selon ses revenus totaux jusqu’à compenser complètement, pour les mieux nantis, les prestations de RBU.

Une discussion détaillée des nombreuses études sur le sujet dépasse le cadre de ce livre, mais on s’entend généralement sur les avantages suivants d’un tel régime.

  • Il permettrait d’éliminer l’incohérence des politiques et des mesures d’aide sociale des deux gouvernements (une trentaine de mesures), où par exemple les coupures à l’assurance chômage par Ottawa viennent augmenter les charges d’aide sociale du gouvernement du Québec, sans compter les conséquences néfastes sur les individus qui s’enfoncent dans l’aide de l’État.
  • Il permettrait de réduire de 15% les coûts bureaucratiques d’administration des programmes de sécurité du revenu par l’élimination des conditions d’admission et de la nécessité de leur contrôle, sans compter les coûts du dédoublement entre les deux paliers de gouvernement qui les administrent.
  • Il offre une assurance contre la précarité du travail à temps partiel, lequel croît 20 fois plus vite que le salariat à temps plein, comptant pour 80 % des emplois créés au Canada de 1989 à 1997;
  • Il facilite les transitions d’emploi dans une société du savoir où on change en moyenne 7 fois d’emploi dans la vie, beaucoup plus souvent que par le passé.
  • Il favorise la conciliation entre le travail, la famille et les études, surtout pour les femmes chefs de famille monoparentales (31 % des assistées sociales), les travailleuses autonomes (dont 70 % gagnent moins de 10 000 $), ou les étudiants dont les prêts et bourses sont remplacés par le revenu minimum garanti ;
  • Il stimule le développement communautaire, l’économie sociale et le démarrage des PME en diminuant les risques financiers d’entreprenariat, de créativité sociale, d’initiative individuelle, sans qu’il s’agisse pour les personnes impliquées de risques vitaux, les besoins de base étant couverts par l’allocation universelle.
  • Il redonne de la dignité à tous, car ce n’est pas de la charité, mais un élément clef du contrat social liant entre eux les citoyens et citoyennes du pays, invité.es à contribuer au bien commun, chacun et chacune à sa façon.

Pour établir quelle que forme que ce soit de revenu de base universel, il faut faire converger l’ensemble des politiques de soutien au revenu, des politiques fiscales et des politiques de soutien à l’emploi de l’État. Pour cela, on ne peut plus avoir deux paliers de gouvernement qui interviennent chacun à sa façon et souvent de manière divergente. Par exemple, les coupes énormes à l’assurance-emploi décrétées par Ottawa ont été responsables du transfert de milliers de personnes à la charge du budget du Québec, augmentant les coûts de l’aide sociale et restreignant la disponibilité budgétaire au Québec pour le soutien à l’intégration au marché du travail. Par ailleurs, rapatrier tous les programmes de sécurité du revenu à Québec ne serait pas suffisant, car il faudrait aussi faire concourir les mesures fiscales des deux niveaux de gouvernement. Pour mettre en place un revenu de base universel, il faudra rapatrier tous nos impôts à Québec et nous donner un seul régime fiscal intégré avec les mesures de sécurité du revenu.

Une politique de l’emploi

Mais une politique intégrée de soutien au revenu ne suffit pas. Il faut également faire converger les moyens récupérés d’Ottawa et ceux du Québec vers une véritable politique de l’emploi, si on veut que le Québec, particulièrement dans les régions-ressources, devienne à la fois créateur d’emplois et de développement social. Cela a été possible dans d’autres pays. Aujourd’hui, dans les pays scandinaves, la pauvreté chez les enfants se situe entre 3 % et 4 % contre 15 % au Canada.

Ces pays souverains, qui sont parmi les dix nations les plus riches du monde par habitant, nous démontrent que solidarité sociale et développement économique peuvent aller de pair. À titre d’exemple, un chômeur danois peut recevoir 90 % de son salaire pendant deux ans, mais il doit satisfaire en échange à des obligations strictes, comme suivre un programme de formation et faire des recherches actives pour se trouver un emploi dans un autre secteur d’activité. En Finlande aussi, la formation est considérée comme la clé de la réinsertion des travailleurs. Le pays mise sur l’amélioration des connaissances techniques des chômeurs, ce qui explique le succès de Nokia dans le domaine des télécommunications. Les scandinaves ont confiance à ce filet de protection sociale, ce qui les amène à accepter un fardeau fiscal plus élevé que la moyenne des autres pays.8 Un autre facteur important : dans les pays scandinaves, 60 % à 80 % des travailleurs sont syndiqués. Comme les syndicats sont très forts, ils assument volontiers leur responsabilité sociale à l’égard de l’emploi, ce qui a un effet d’entrainement sur la compétitivité des entreprises.

En somme, plutôt que de laisser la main invisible de l’économie libérale faire croitre la richesse pour ensuite la répartir, il s’agit plutôt de donner à tous des chances égales de faire augmenter la richesse. La pauvreté coûte cher. Comme l’explique un document de travail du Fonds monétaire international (FMI), il est faux de croire que l’enrichissement des plus riches bénéficierait à la croissance économique. « Lorsque la part de gâteau des 20 % les plus aisés augmente de 1 %, le produit intérieur brut (PIB) progresse moins (– 0,08 point) dans les cinq ans qui suivent. Autrement dit, les avantages des plus riches ne ruissellent pas vers le bas, contrairement aux convictions des économistes néolibéraux. En revanche, une augmentation de même importance (+ 1 %) de la part des revenus détenue par les 20 % les plus pauvres est associée à une croissance plus forte de 0,38 point.9

Il faut donc inverser l’équation néolibérale : non pas faire d’abord faire croître la richesse pour ensuite mieux la répartir mais, au contraire, mieux la répartir pour faire croître l’économie. La lutte à la pauvreté et pour l’emploi n’est pas une dépense, c’est un investissement dans le développement du Québec. Si d’autres sociétés s’en tirent mieux que nous, c’est qu’elles utilisent leur souveraineté pour coordonner leurs politiques, investir leurs ressources, en misant sur la concertation et la responsabilisation sociale des entreprises, des syndicats et des autres acteurs de la société. L’indépendance est urgente pour que le Québec se donne les moyens de concrétiser ses valeurs de solidarité sociale.

Réduire les couts du logement

Sur un autre plan, l’augmentation continue des couts du logement contribue à maintenir trop de personnes dans la pauvreté et la précarité. Selon Statistique Canada, le prix du loyer médian a grimpé de 14 % au Québec entre 2006 et 2011, tandis que le revenu médian des ménages locataires n’a augmenté que de 9 % pendant la même période. Davantage de personnes se voient dans l’obligation de recourir aux banques alimentaires pour se nourrir, le taux d’itinérance ne cesse d’augmenter et les refuges débordent. Actuellement, près de 500 000 ménages locataires au Québec accordent plus de 30 % de leur revenu pour se loger, alors qu’un ménage sur cinq y accorde plus de 50 %. La spéculation immobilière, le faible contrôle des loyers où la régie du logement fixe moins de 0,5% des loyers et le retrait depuis plusieurs années des investissements gouvernementaux dans les logements à prix modique ou coopératifs sont des facteurs qui se combinent pour créer cette situation intolérable.

Avec le temps, le gouvernement canadien, par sa Société centrale d’hypothèques et de logement (SCHL), s’est donné un rôle majeur en matière de logement en tant que plus important assureur de prêts hypothécaires au Canada. La société nage dans des surplus accumulés qui sont en croissance constante. Au début de 2011, on prévoyait que les revenus autonomes totaliseraient 11,7 milliards $.10 Au lieu d’investir ces surplus dans le logement social, le gouvernement d’Ottawa a décidé de se retirer du financement des habitations à loyer modique (HLM), sauf dans les communautés autochtones, laissant le Québec s’arranger avec un déficit d’entretien cumulé estimé à au moins 1,8 milliard $, selon la Société d’habitation du Québec. Même si, récemment, le gouvernement fédéral s’est engagé à investir 1,9 milliard de dollars sur 8 ans au titre de l’IDLA, dont 461 489 $ au Québec (avec appariement par la province)11, cette somme demeure tragiquement insuffisante. PROJET 5

PROJET 5

ASSURER LA SÉCURITÉ DU REVENU ET DE L’EMPLOI

Actuellement, l’établissement d’un revenu de base universel n’est pas possible au Québec. En devenant indépendant, le Québec se donnera les moyens de développer un ensemble coordonné de mesures et de programmes en faveur d’une véritable politique de lutte à la pauvreté et à la précarité. En rapatriant le régime d’assurance-emploi d’Ottawa, on pourra rétablir une caisse de soutien à l’emploi et au recyclage dont les surplus de 45 milliards de dollars ont été détournés depuis 1996 dans les fonds généraux du gouvernement, pendant que l’accès aux prestations était de plus en plus réduit. En récupérant aussi sa part des fonds de la SCHL, le Québec pourra se donner une politique de logement abordable sans laquelle une partie importante de la population continuera à s’appauvrir.

Le projet d’ensemble de lutte contre la pauvreté et la précarité présenté ici regroupe un des mesures sur trois plans : l’établissement d’un revenu de base universel, le maintien de certains programmes sociaux d’envergure dont l’assurance-emploi et l’accès au logement abordable et le soutien aux revenus des personnes au travail.

Établissement d’un revenu de base universel

  1. Mettre fin au fouillis actuel dans les programmes de sécurité du revenu et la fiscalité en récupérant au Québec les programmes de soutien au revenu gérés par Ottawa en regroupant les prestations de revenu actuelles avec celles du Québec dans un régime de revenu de base universel (RBU).
  2. Modifier les paliers d’impôt progressif sur le revenu au sein d’un régime fiscal unifié, dont le niveau et les modalités seront établis en concertation avec les partenaires socioéconomiques, en tenant compte du RBU.
  3. Financer le RBU en y affectant la plupart des fonds consacrés aux programmes de soutien au revenu, en tenant compte de la réforme de la fiscalité et des recettes de l’État dues à la plus-value économique générée par les dépenses des personnes et à la réduction des dépenses liées à la pauvreté.
  4. Éliminer le 15 % des coûts bureaucratiques dans l’administration des programmes de sécurité du revenu actuellement consacrés à leur administration et à leur contrôle, tout en éliminant le dédoublement des coûts des deux paliers de gouvernement qui les administrent actuellement ; réinvestir ces économies dans l’aide au revenu des personnes.
  5. Orienter le revenu de base universel pour en faire une assurance contre la précarité du travail à temps partiel ou autonome, lequel croit 20 fois plus vite que le salariat à temps plein.
  6. Entreprendre, au plan local et international, en collaboration avec d’autres pays, une lutte sans merci à l’évasion et à la fraude fiscale des plus riches, de façon à maintenir les revenus de l’État tout en affectant les sommes nécessaires au revenu de base universel.

Maintien de mesures sociales spécifiques

  1. Rapatrier l’assurance-emploi d’Ottawa en rétablissant un niveau de prestation décent jusqu’à la mise en opération du revenu de base universel ; par la suite, maintenir et ajuster le régime d’assurance-emploi du Québec au RBU, tout en instaurant un programme efficient de formation et de réinsertion de la main d’œuvre, à l’exemple de pays indépendants comme le Danemark.
  2. Doubler progressivement le taux de couverture du Régime des rentes du Québec (RRQ) et en porter le seuil maximal à 70 000 $, en le consolidant avec la récupération des pensions de vieillesse et du supplément de revenu garanti.
  3. Établir la gratuité scolaire et éliminer le régime de prêts et bourses aux étudiants pour le remplacer par le revenu de base universel.
  4. Maintenir et bonifier les mesures de soutien au logement à loyer modique et aux coopératives d’habitation, de façon à réduire progressivement le coût du logement à un maximum de 25 % du revenu de tous les ménages.
  5. Maintenir et améliorer les conditions d’accès au programme d’assistance juridique pour assurer un accès équitable à la justice.

Soutien des revenus du travail

  1. Augmenter progressivement le salaire minimum à 15 dollars l’heure pendant la période de transition, puis l’ajuster au niveau du RBU de façon à maintenir à la fois un revenu au-dessus du seuil de pauvreté et une incitation au travail.
  2. Faciliter par la formation des adultes les transitions entre les emplois dans une société du savoir où on change en moyenne 7 fois d’emploi dans la vie, beaucoup plus souvent que par le passé.
  3. Favoriser la conciliation entre le travail, la famille et les études, surtout pour les femmes chefs de famille monoparentales (31 % des assistées sociales), les travailleuses autonomes (dont 70 % gagnent moins de 10 000 $).
  4. Stimuler le développement communautaire, l’économie sociale et la création de PME en diminuant les risques financiers d’entreprenariat, de créativité sociale ou d’initiative individuelle, grâce à l’établissement du revenu de base universel.
  5. Réaliser une implantation complète de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, pour mieux protéger les revenus d’emploi.
  6. Maintenir le régime d’indemnisation des accidents de travail et des maladies professionnelles.

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1 Michel Chartrand. Les Dires d’un homme de parole. Conférence du OUI-UQAM, 28 septembre 1995.

2 Fabien Deglise, « Les riches sont plus riches, les pauvres plus pauvres », Le Devoir, 12-13 mai 2007.

3 Gouvernement du Québec, Institut de la statistique, « Rémunération des salariés. État et évolution comparés, 2001 ».

4 « Écart du revenu : le Canada parmi les pires, estime l’OCDE », La Presse, 30 avril 2014.

http://affaires.lapresse.ca/economie/canada/201404/30/01-4762383-ecart-du-revenu-le-canada-parmi-les-pires-estime-locde.php

5 Yanick Noiseux, Transformations des marchés du travail et innovations syndicales au Québec, Presses de l’Université du Québec, cité dans Pierre Dubuc, Précariat et revenu de citoyenneté, Éditions du Renouveau québécois, 2016.

6 M. Bernard et M. Chartrand, « Le revenu de citoyenneté, un projet pour le Québec », L’Action Nationale, janvier 2000.

7 A. Araar, J.Y. Duclos et F. Blais, Effets redistributifs d’un régime d’allocation universelle : une simulation pour le Québec, Université Laval, Septembre 2004

8 Pierre-André Normandin, « Le ‘‘compromis’’ scandinave, le rôle de l’État plaît autant à gauche qu’à droite », Le Soleil, 10 septembre 2005.

9 Claire Guélaud, « Les inégalités de revenus nuisent à la croissance ». Le Monde Économie, 16 juin 2015. http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/06/15/les-inegalites-de-revenus-nuisent-a-la-croissance_4654546_3234.html

10 Martin Vallières, La Presse, 22 octobre 2012.

11 SCHL, Tableau de financement accordé dans le cadre de l’IDLA au Canada. https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/prin/celoab/filoab/inloab/inloab_002.cfm