Ouvrage:Un pays en tête/Développer une économie pour le 21e siècle

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« Il y a une très grande leçon à tirer de l'éclatement de la crise de 2008. On ne peut laisser à elle-même l'économie de marché. Dans un marché où la concurrence serait pure et parfaite, où les facteurs de production seraient parfaitement mobiles, où tous les mécanismes d'autocorrection se manifesteraient à temps, peut-être l'économie pourrait-elle être laissée à elle-même. Mais ce modèle n'existe pas et n'a jamais existé. » – Jacques Parizeau1

La récente crise économique de 2008-2009, qui est aussi environnementale et sociale, a mis en évidence l’importance du rôle économique des États nationaux, en particulier l’importance pour le Québec d’être un État complet disposant de tous ses moyens économiques. Sans l’intervention des gouvernements américain et canadien, on aurait assisté à l’effondrement de l’industrie automobile nord-américaine mais, pendant ce temps, des industries importantes pour le Québec souffrant de la crise, comme l’industrie forestière, ont été délaissées par le gouvernement canadien dont ce n’était pas la priorité.

Vers une véritable stratégie économique

Les initiatives antérieures de l’État Québécois en matière économique depuis la révolution tranquille témoignent pourtant d’une volonté de prise en charge de l’économie par le Québec. L’adoption successive des politiques « Bâtir le Québec » et « Le virage technologique » au tournant des années 1980 a marqué la volonté du gouvernement du Québec de faire migrer l’économie québécoise des secteurs « mous » vers des industries plus compétitives sur les marchés d’exportation et des entreprises plus innovantes sur les plans scientifiques et techniques2. Au début des années 1990, l’approche des « grappes industrielles » a misé sur le renforcement des liens de complémentarité entre les entreprises et la collaboration des acteurs du secteur privé, des syndicats et du gouvernement.

Plus récemment, le gouvernement du Québec présentait un aperçu partiel (voir figure 5) de la diversité des stratégies sectorielles ou thématiques composant ce que le gouvernement présente comme étant son plan économique. Plusieurs observateurs notent toutefois qu’une véritable stratégie économique pour le Québec se fait attendre3. Malgré l’intérêt de certaines mesures, on note le caractère partiel et ponctuel des initiatives gouvernementales. Il peut difficilement en être autrement lorsque les principaux leviers de développement économique se situent au niveau du gouvernement d’Ottawa qui poursuit ses propres politiques de développement économique dans une perspective « from coast to coast »4. À titre d’exemple, une stratégie maritime pour le Québec ne pourra vraiment être réalisée que lorsque le Québec sera indépendant puisque le territoire du Québec province s’arrête aux rivages. Les ports relèvent du gouvernement canadien et il en est de même pour l’importante canalisation du St-Laurent, laquelle a d’ailleurs déplacé une partie de l’activité économique du Québec vers l’Ontario et la région des Grands Lacs, sans contreparties au Québec en termes de redevances.

Figure 5 - Composantes d'une stratégie économique pour le Québec. Source : MESI Oser exporte


Les priorités d’une véritable stratégie économique pour le Québec ne peuvent être les mêmes que celles du gouvernement canadien. D’abord, le Québec est riche en énergies renouvelables. En coordonnant l’ensemble de ses mesures économiques, fiscales et sociales, à l’instar de pays européen comme le Danemark, le Québec indépendant, serait en mesure d’éliminer le pétrole et les énergies fossiles d’ici 2050 dans les domaines du transport, de l’industrie ou des usages domestiques. Tout en protégeant le climat et l’environnement, on pourrait ainsi progressivement réduire et éliminer les importations de pétrole qui totalisent autour de 20 milliards $ par année au Québec et réinvestir ces sommes colossales dans le support à l’économie et aux services éducatifs et de santé.

Sur autre plan, le Québec n’a pas d’industrie automobile, mais il a tout ce qu’il faut pour développer son expertise dans le matériel pour le transport en commun et dans l’aérospatiale, largement concentrée au Québec. Une autre secteur d’expertise important est celui des biotechnologies et de ses applications en médecine et en agriculture. On peut aussi mentionner le secteur des jeux vidéos et d’autres domaines des technologies de l’information comme l’intelligence artificielle et ses applications. Encore ici, les priorités de développement spécifiques au Québec sont différentes de celles du Canada.

Canada et Québec : des intérêts économiques divergents

De fait, la structure industrielle et les intérêts économiques du Canada vont à l’encontre de ceux du Québec en matière de développement économique et d’environnement. Le gouvernement canadien oriente ses investissements vers l’industrie automobile ontarienne et le développement pétrolier de l’Ouest. Avec ses projets de transport du pétrole albertain par pipeline vers l’Est, par train ou par bateau, Ottawa veut assurer l’exportation des énergies fossiles, avec ses retombées dans l’Ouest et ses risques, principalement pour le Québec. Dans les faits, Ottawa n’a aucun intérêt à collaborer à une politique québécoise résolument axée sur les énergies renouvelables. Il préfère utiliser, au profit de l’industrie pétrolière canadienne, une partie importante des 50 milliards de taxes et d’impôts que le Québec lui envoie chaque année.

Dans une économie mondialisée, le Québec doit miser à fond sur la recherche-développement et l’innovation pour établir et développer sa compétitivité économique. En 2008, le ratio des dépenses intérieures brutes en recherche et développement (DIRD) provinciales par rapport au PIB provincial était le plus élevé au Québec (2,61), suivi d'un ratio de 2,37 en Ontario. Ce constat de la forte intensité des activités de R-D au Québec vaut également lorsque l’on compare sur le plan international les dépenses en RD des entreprises du Québec. Parmi 22 pays membres de l’OCDE, le Québec se situait, de 2004 à 2006, au 10e rang en ce qui a trait à la part du revenu intérieur dédié à la R-D5.

Figure 6 - Répartition du financement d'Ottawa en R-D et lieux d'exécution en recherche de 1993 à 2007

Même s’il reste du chemin à faire sur ce plan, le Québec a donc réussi à progresser malgré la faiblesse des investissements canadiens en R-D qui se situe sous la moyenne des pays de l’OCDE. Il a aussi réussi à le faire malgré les investissements historiques de R-D du Canada surtout concentrés en Ontario6 , tel qu’indiqué à la figure 6.

Plus généralement, le développement économique du Québec est défavorisé par le fait que seulement 17,9 %7 des dépenses des programmes fédéraux bénéficient au Québec, bien en deçà de son poids démographique (23,1 %). La proportion des transfert fédéraux au Québec, légèrement plus élevée, à 25,6 %, que ce poids démographique, ne compense pas la faiblesse chronique des investissements fédéraux pouvant bénéficier à l’économie du Québec.

Actuellement, seulement 14,3 %8 de tous les actifs fédéraux résultant d’investissements depuis 150 ans sont situés au Québec, ce qui reflète bien le fait que le Québec a contribué plus que sa part au développement du Canada vers l’Ouest. On pourrait ajouter à cela les dépenses canadiennes qui ont déplacé de Montréal vers Toronto la plupart des services financiers, la Bourse de Montréal et le trafic aérien, sans compter les énormes dépenses dans l’industrie automobile et le pétrole.

Rapatriement des moyens et concertation socio-économique

L’indépendance permettra au Québec de récupérer l’ensemble des pouvoirs économiques actuellement contrôlés par le gouvernement fédéral : fiscalité, dépenses budgétaires, assurance-emploi, politique commerciale, développement sectoriel et régional, politiques de transport et d’énergie. Ces pouvoirs et ces moyens, utilisés depuis toujours à fins contradictoires aux nôtres pourront être réorientés au service de politiques économiques adaptées à la réalité du Québec et aux exigences d’une économie du 21e siècle.

Le cas du Danemark constitue à bien des égards un exemple à suivre en raison de la conciliation entre les enjeux de la compétitivité de l’économie et ceux de la solidarité sociale. « Parmi ces enseignements, le principal serait la nécessité pour les ‘‘petits pays’’ soumis à de fortes contraintes extérieures, tant économiques que politiques, de construire des compromis nationaux qui transcendent les clivages partisans et les clivages de classes. Au Québec, les conditions politiques de l’émergence de tels compromis ne sont pas réunies. L’absence de réponses satisfaisantes de l’ensemble des partis politiques à la question nationale peut apparaitre comme un facteur limitatif important à la formation d’arrangements institutionnels innovateurs, efficaces et empreints de justice sociale »9.

Sous le gouvernement Lévesque, la tenue de sommets économiques a permis d’initier des pratiques de concertation entre les acteurs du développement économique au Québec. Lors des dix conférences socioéconomiques et régionales tenues entre mai 1977 et la fin de l’année 1978, ces rencontres gouvernement-patronat-syndicat poursuivaient l’objectif de rendre l’économie québécoise plus concurrentielle, notamment dans les secteurs des services et des technologies. Les débuts du premier gouvernement Bouchard ont également été marqués par la mise en place de grandes rencontres au sommet. Mais un acteur important était absent, le gouvernement canadien, disposant de moyens importants, mais s’en servant selon ses propres priorités. L’indépendance permettra au Québec de reprendre la concertation socio-économique, sur le plan national et dans les régions.

Au delà de son rôle régulateur, un Québec indépendant détenant l’ensemble de nos moyens collectifs sera capable d’appuyer et de concerter les initiatives des secteurs publics, privés, coopératifs, de l’économie sociale. Pour ce faire, l’intelligence collective des citoyennes et des citoyens doit être sollicitée dans tous les secteurs de la société dès le début de la conception des politiques et des projets de développement économique. Il faut se donner les moyens de relancer une véritable concertation socioéconomique des forces vives du Québec pour orienter résolument le développement vers le bien commun et la création d’emplois de qualité.


PROJET 3

DÉVELOPPER UNE ÉCONOMIE 21E SIÈCLE

En récupérant l’ensemble des pouvoirs économiques actuellement contrôlés par le gouvernement canadien, le Québec se donnera les moyens d’une politique économique adaptée à la réalité du Québec et aux exigences d’une économie du 21e siècle, tout en la coordonnant aux stratégies complémentaires d’aménagement du territoire et des transports, de développement régional, d’environnement et de solidarité sociale. Un projet collectif de développement d’une véritable économie du 21e siècle doit comporter des mesures sur les plans de la concertation socio-économique, le développement de l’économie du savoir, le renforcement de l’expertise économique de l’État et le soutien aux entreprises pour l’exportation (responsables de 28,6 % des emplois du Québec, actuellement).

Concertation socioéconomique

  1. Organiser régulièrement entre l’État québécois et les principaux acteurs (entreprises, syndicats, universités et cégeps, associations communautaires, etc.), des conférences socioéconomiques de concertation pour établir les bases d’un développement économique intelligent axé sur le bien commun, la création d’emploi et la solidarité sociale.
  2. Mettre sur pied un secrétariat de la concertation socio-économique chargé à la fois d’organiser les conférences socioéconomiques, d’en assurer le suivi et de diffuser les connaissances pertinentes sur les projets de développement socioéconomique.
  3. Faire en sorte que l’État québécois soumette ses projets d’envergure à ces conférences et oriente les moyens d’action rapatriés d’Ottawa à l’appui des différents consensus émergeant de la concertation socio-économique

Miser sur une économie du savoir

  1. Intensifier les investissements dans la recherche-développement pour en reprendre la croissance par rapport au PIB jusqu’à atteindre un niveau global supérieur à 3 % du PIB.
  2. Mettre en œuvre, avec les acteurs socioéconomiques impliqués, une politique nationale de la recherche et de l’innovation en accroissant la recherche dans les ministères et des sociétés d’État, en augmentant le soutien à la recherche dans les universités et les collèges, et en stimulant l’innovation dans les entreprises.
  3. Intégrer et augmenter les fonds actuellement consacrés à la recherche universitaire par les deux paliers de gouvernement, tout en effectuant les rattrapages requis dans les subventions de base des universités et des collèges suite aux coupures dans les transferts aux provinces réalisées unilatéralement par Ottawa depuis les années 90.
  4. Mettre en œuvre une approche globale favorisant les partenariats entreprises – enseignement supérieur – sociétés d’État et tenant compte de toutes les formes de recherche et d’innovation (sociales – organisationnelles – technologiques).
  5. Soutenir les plateformes sectorielles de recherche et d’innovation existantes, telles que Génome Québec ou le Centre de recherche industrielle du Québec, et favoriser d’autres réseaux sectoriels d’innovation dans les domaines de l’aérospatiale, des biotechnologies, des technologies de l’information, des industries culturelles et des énergies renouvelables.

Renforcer l’expertise économique de l’État québécois

  1. Renforcer l’expertise des ministères québécois, notamment grâce à l’apport des employés du gouvernement canadien qui y seront rapatriés, particulièrement dans les domaines où l’État québécois est en interaction avec l’entreprise privée pour le développement de l’économie et de l’emploi.
  2. Redonner un rôle moteur à la Caisse de Dépôt et Placement à l’égard des projets de développement au Québec, notamment dans l’appui à l’innovation et à l’exportation des entreprises québécoises.
  3. Rapatrier le développement de l’industrie éolienne en créant la division Hydro-Québec Éolien (HQÉ) et établir son bureau-chef dans l’Est du Québec, lieu principal des implantations éoliennes.
  4. Remettre sur pied Hydro-Québec International (HQI) afin d’exporter notre expertise en réseaux électriques et en production d’énergie renouvelable hydraulique et éolienne.
  5. Redonner aux sociétés d’État le mandat de travailler avec les régions et de maximiser les retombées locales et régionales de leurs activités par la transformation des richesses naturelles et l’implantation de nouvelles activités de l’économie du savoir dans les régions.

Soutenir la performance des entreprises

  1. Devenir un leader mondial dans les énergies renouvelables et l’électrification des transports par la mobilisation du pouvoir d’achat accru d’un Québec indépendant et la réglementation en matière de transport, tout en assurant la création de grappes industrielles fortes et performantes dans l’économie du 21e siècle.
  2. Développer les entreprises en région en mettant sur pied un Fonds de diversification économique régional de plusieurs milliards $ dans le but d’augmenter significativement la transformation de nos ressources naturelles au Québec et le développement des nouvelles activités économiques.
  3. Soutenir les entreprises innovantes en leur assurant un appui financier accru pour le développement, la commercialisation et l’augmentation de leurs ressources en personnel scientifique et technique, particulièrement dans les PME.
  4. Soutenir les entreprises du secteur manufacturier québécois pour augmenter leur productivité, leur utilisation des technologies, leur informatisation, ainsi que leur éco-performance dans une perspective de développement durable.
  5. Développer l’économie sociale au Québec et la formule coopérative pour la satisfaction des nouveaux besoins éducatifs et sociaux, dans des sphères d’activité essentielles pour la création d’emplois et les services de proximité.
  6. Assurer un accroissement et une diversification des marchés d’exportation du Québec en défendant directement nos intérêts dans la négociation des accords commerciaux internationaux et en soutenant les entreprises québécoises dans le développement de leurs marchés.

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1 Jacques Parizeau. La souveraineté du Québec. Éditions Michel Brûlé, 2007. http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/carnets/2009/11/19/126661.shtml?auteur=2062

2 L’auteur a été responsable dans le Gouvernement Lévesque de l’implantation du virage technologique, de la concertation des ministères sectoriels impliqués dans la recherche-développement, ainsi que de l’élaboration de politiques de recherche-développement dans les régions du Québec.

3 « Une stratégie économique d’ensemble pour le Québec », Comité des politiques publiques, Association des économistes québécois, décembre 2016, p. 2.

4 Développement économique Canada pour les régions du Québec, http://www.dec-ced.gc.ca/fra/index.html

5 Benoit Rigaud, « La politique économique québécoise entre libéralisme et coordination », Observation de l’administration publique, printemps 2008. http://cerberus.enap.ca/Observatoire/docs/Etat_quebecois/a-pp-economie.pdf

6 http://www.statcan.gc.ca/pub/11-402-x/2010000/chap/science/tbl/tbl04-fra.htm

7 Maxime Duchesne. Finances d’un Québec indépendant. L’Action nationale, 2016, p. 13.

8 Maxime Duchesne, op. cit., p. 63.

9 Benoit Rigaud, op. cit., p.35.