Ouvrage:Un pays en tête/Des moyens de forger notre avenir

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Trois éléments définissent l’indépendance d’un État : Le contrôle exclusif de faire ses lois, de percevoir et de disposer de ses impôts et d’établir ses relations extérieures avec d’autres États ou organisations internationales. Que l’on soit de droite ou de gauche, quelles que soient les orientations que l’on veuille donner à notre société à l’avenir, quelles que soient nos priorités, les pouvoirs d’un État indépendant constituent un indispensable coffre à outils qu’il est urgent, pour nous, de rapatrier dans un État national complet. C’est ce que permet l’indépendance : Nous donner les moyens de forger notre avenir.

Le contrôle exclusif de faire nos lois

Le Québec s’est doté en 1977 de la Charte de la langue française (loi 101) après un vaste débat démocratique débutant avec la crise de Saint-Léonard, marqué par la Loi pour promouvoir la langue française au Québec (loi 63) de la fin des années 60 et l’insatisfaisante Loi sur la langue officielle (loi 22) de Robert Bourassa au début des années 70. La Loi 101 a finalement établi un régime accepté par la très grande majorité des citoyens de toutes origines, faisant du français la langue officielle et commune dans la sphère publique.

Or, cette « longue marche » de la démocratie québécoise pour consolider sa langue nationale, a été invalidée à plusieurs reprises par la Cour suprême du Canada, conduisant à la suppression ou à la modification de quelque 200 articles de la Charte de la langue française, la plus récente justifiant la création d’écoles passerelles permettant à des parents d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise, même s’ils n’y avaient pas droit auparavant. La Cour suprême appuie ses jugements sur l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée par le parlement fédéral dans la loi constitutionnelle de 1982. Cette charte est constitutionnalisée, ce qui signifie que chaque loi au Canada, y compris celles adoptées par l’Assemblée nationale du Québec, peut être contestée en vertu de la Constitution canadienne. Cela a pour effet de permettre l’annulation de lois promulguées par l’Assemblée nationale, et cela en vertu d’un texte constitutionnel que le Québec n’a jamais signé, lequel ne tient compte ni de ses aspirations fondamentales ni de son besoin existentiel de pérenniser sa langue et sa culture. Plus précisément, l’article 23, qui sert de base au jugement de la Cour suprême, a été conçu explicitement pour contrer la loi 101 sur la langue d’enseignement de façon à étendre le droit aux parents, ayant fait leurs études en anglais n’importe où au Canada, d’inscrire leurs enfants à l’école anglaise.

La loi constitutionnelle de 1982 a été adoptée par le Parlement canadien sans le consentement du Québec, comme si ce dernier n’était qu’une colonie dont l’approbation n’était pas requise. Il n’y eut aucune consultation de la population du Québec, aucun référendum. La question ne fut pas discutée davantage lors d’une élection. L’Assemblée nationale s’y est opposée fermement et aucun de nos gouvernements successifs, quel que soit le parti au pouvoir, n’a accepté d’y apposer sa signature jusqu’à ce jour.

Cette situation où le régime canadien invalide régulièrement les lois du Québec ancre l’idée selon laquelle les prises de position et les lois de l’Assemblée nationale du Québec, notamment en faveur du français, même approuvées unanimement par tous les partis politiques, ne sont pas importantes puisqu’elles peuvent être invalidées en vertu de la Constitution canadienne. Les jugements de la Cour suprême invalidant des dispositions de la loi 101 sont d’autant plus néfaste qu’elles engendrent une incertitude sur les règles linguistiques au Québec, un doute sur la légitimité de la démarche du Québec, une invitation aux citoyens à se dissocier de la nation québécoise et de la langue commune, ciment de la nation. Dans un tel contexte qui perdure, comment se surprendre de la progression de l’anglais à Montréal, des difficultés d’intégration des allophones déchirés entre deux langues et deux nations, de la réaction des citoyens de langue française fiers de leur appartenance au Québec et qui voient leur identité nationale menacée ?

Un autre exemple est celui de la solidarité sociale que la majorité des Québécois appuie et veut voir se réaliser dans les faits. L’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de s’accroître dans notre société. La croissance économique n’est plus synonyme de croissance de l’emploi. La richesse produite augmente plus rapidement que les salaires et que le nombre de personnes en emploi. En distribuant mieux la richesse, nous pourrions augmenter le nombre de personnes qui contribuent à la production des biens et services par leurs dépenses au Québec ou leur travail dans les organisations ou dans l’économie sociale, augmentant ainsi la richesse collective.

Bien qu’ils soient en désaccord sur de nombreuses questions quant à l’avenir socio-économique du Québec, les manifestes « Pour un Québec lucide » (Collectif, 2005) et « Pour un Québec solidaire » (Collectif, 2005) appuyaient tous deux l’idée d’établir un programme de revenu garanti au Québec. Or, un tel programme est impossible dans le régime canadien actuel. Une trentaine de programmes de soutien au revenu sont répartis entre les deux paliers de gouvernement : aide sociale, régime des rentes et prêts et bourses à Québec, assurance-emploi et pension de sécurité de la vieillesse au fédéral, pour ne nommer que les plus connus, sans compter les différents crédits d’impôt et autres mesures fiscales des gouvernements. Autrement dit, le Québec n’est pas « souverain » sur le plan social ni sur le plan culturel.

Sur un autre plan, celui du développement durable, la crise écologique mondiale, les coûts énormes et les risques pour l’être humain de la société de consommation à outrance soulignent à l’évidence l’absolue nécessité de nouvelles façons de produire et de consommer. Les efforts considérables requis pour le développement économique durable et l’indépendance énergétique nécessitent la récupération de l’ensemble de nos lois et de nos ressources. Il faudrait investir en quelques années des milliards de dollars dans les infrastructures, les trains de banlieue, la conversion des autobus et des taxis, les transports gratuits dans les centres villes, de même que dans les sources nouvelles d’énergie, pour remplacer les énergies fossiles.

Actuellement, dans le régime canadien, les compétences en environnement, en développement économique, en aménagement du territoire ou dans les transports relèvent du gouvernement canadien ou sont partagées entre les deux paliers de gouvernement. Les politiques se chevauchent, se contredisent et nous empêchent de relever à fond le défi de l’indépendance énergétique. Les pressions des provinces productrices du pétrole engendrent des politiques rétrogrades au palier fédéral comme le transport de pétrole par oléoducs, trains ou bateaux, totalement à l’encontre des besoins et des valeurs du Québec.

Le contrôle exclusif de nos ressources financières

L’urgence pour le Québec, comme pour les autres sociétés, d’investir massivement dans la société du savoir et l’éducation n’a plus besoin d’être démontrée. Elle est une condition essentielle au développement de l’économie et de l’emploi, une arme contre la pauvreté et la précarité, un socle pour l’essor de notre culture. Par ailleurs, le Québec doit relever le défi démographique du vieillissement de la population, qui est l’un des facteurs de la croissance rapide des coûts de la santé, lesquels prennent une part de plus en plus grande des dépenses de l’État québécois (Rapport Ménard, 2005). Sur ces deux questions, qui sont officiellement de responsabilité provinciale au Canada, et sur bien d’autres questions importantes, le Québec est mal équipé, étranglé financièrement par une marge de manœuvre beaucoup plus réduite qu’au palier fédéral (Rapport Séguin, 2002).

Pendant qu’Ottawa coupe unilatéralement dans les transferts aux provinces en santé, il dépense sans compter dans des domaines non prioritaires pour le Québec :

  • Le budget de la Défense canadienne totalisait quelque 460 milliards de dollars sur 20 ans1, soit 23 milliards par année, dont le Québec paiera environ 4,6 milliards par année. Cela dépasse le déficit actuel du Québec, lequel amène le gouvernement du Québec à sabrer dans l’éducation et la santé. Le seul coût de la guerre en Afghanistan, à laquelle la majorité des Québécois étaient opposés, nous a d’ailleurs coûté quelque 2 milliards en 10 ans. Or, Ottawa vient de décider d’augmenter ses dépenses militaires de 70 % d’ici 2017 pour atteindre 32,7 milliards au cours des 10 prochaines années. La facture annuelle pour les contribuables québécois augmentera autour de 7 milliards si nous sommes encore dans le Canada à ce moment là.
  • La fondation Suzuki maintient un compteur des subventions aux compagnies pétrolières2situées principalement dans l’Ouest canadien, lesquelles totalisent plus de 2 milliards depuis le 25 septembre 2009. À l’encontre des valeurs du Québec, le gouvernement du Canada investit dans l’armement et le pétrole, plutôt que de sauvegarder l’environnement et l’avenir de la planète.
  • Les politiques fédérales de soutien à la recherche scientifique, génératrices de milliers d’emplois de haut niveau, favorisent systématiquement l’Ontario. Sur les 58 milliards $ investis par Ottawa de 1993 à 2007, 29 milliards, soit près de 60 %, l’ont été en Ontario. Ainsi, dans la région d’Ottawa-Gatineau, 27 centres de recherche ont été créés du côté ontarien et aucun dans l’Outaouais québécois.
  • Sur le plan financier également, l’État canadien met tout en œuvre depuis plusieurs décennies pour développer Toronto comme centre financier international et comme centre des transports et des communications, au détriment de Montréal, jusqu’à ce projet de création d’une agence ontarienne soi-disant « nationale » qui remplacerait l’Autorité des marchés financiers des provinces, dont celle du Québec.
  • Dans le seul budget fédéral de l’année 2010, nous avons contribué pour près de 3 des 14 milliards de dollars dans l’industrie automobile ontarienne, alors que le gouvernement central a investi 100 maigres millions dans la revitalisation de l’industrie forestière québécoise.

Les dépenses du gouvernement canadien, financées par nos taxes et nos impôts à hauteur de 50 milliards $ par année, favorisent surtout le développement de l’Ontario et de l’Ouest, depuis le début de fédération canadienne. En rapatriant l’ensemble de nos impôts, un Québec indépendant dépensera 100 % des taxes et impôts de ses citoyens en fonction des priorités et des besoins du Québec, 0 % dans les sables bitumineux de l’Ouest ou l’énergie atomique et 100 % dans nos ressources renouvelables.

Le droit exclusif d’établir nos relations extérieures

Le monde nouveau qui se développe au 21e siècle fait des peuples des cellules de ce « village global » qu’est maintenant la société internationale. Les économies sont de plus en plus intégrées. Notre capacité à exceller sur le plan scientifique et technologique, à exporter et à échanger, à participer au dialogue des cultures, à faire notre part dans l’équilibre écologique de la planète, à promouvoir la paix et la solidarité internationale, en un mot, notre capacité à aider à civiliser la mondialisation dépend de notre accession au concert des nations. Un peuple absent des organismes et des forums internationaux où se décident les orientations de la planète a peu d’avenir. La participation internationale implique des relations entre États qui sont impossibles entre une province d’un pays et des peuples jouissant de la pleine personnalité internationale et de tous les moyens collectifs d’un État indépendant.

La mondialisation de l’économie nécessite aussi la concertation des acteurs socio-économiques et la concentration des moyens de l’État québécois pour soutenir notre capacité compétitive sur les marchés internationaux. Cette concertation est impossible tant la réalité économique et culturelle du Québec diverge de celle du Canada.

Notre présence dans les organes internationaux comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) est essentielle. Bernard Landry a bien exprimé cette incontournable nécessité de l’indépendance du Québec face à la mondialisation : « Pour éviter que la globalisation des marchés ne sombre dans l’anarchie économique et sociale ou ne soit régie par le gouvernement des multinationales, elle devra être de plus en plus placée sous la surveillance et le contrôle de pouvoirs supranationaux. Comme seules les nations reconnues sont admises à siéger dans ces instances mondiales supérieures, le pouvoir s’éloignera de plus en plus des citoyens et citoyennes du Québec s’ils ne se décident pas à faire leur indépendance nationale au plus tôt » (Landry, 1999).

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1 Bill Robinson, Canadian Military Spending 2010-11, 9 mars 2011. http://www.policyalternatives.ca/publications/reports/canadian-military-spending-2010-11

2 Fondation David Suzuki, 2011. http://action.davidsuzuki.org/fr/subsidy