Ouvrage:Un pays en tête/Introduction
Avoir un pays en tête, le vouloir en tête, c’est dessiner un Québec libre de ses entraves de province, imaginer, concrétiser tout ce que pourrait accomplir le peuple de ce pays devenu libre de ses choix et pleinement responsable, tel est mon objectif dans ce livre. Au fil des pages, j’ai l’intention de vous présenter le pays que j’ai en tête à travers dix chantiers collectifs, en espérant que vous pourrez y adhérer dans une large mesure et surtout imaginer le vôtre et le faire partager à d’autres.
Pour que le pays du Québec devienne réalité, il faudra qu’une majorité de Québécoises et de Québécois visualise, imagine et désire ce pays libéré des entraves qu’on lui impose encore dans ce régime politique canadien, cet habit qu’il n’a jamais choisi et dont on l’a affublé sans son consentement.
Pour y arriver, comme le soulignait en 2004 le publiciste Serge-André Guay, « la vraie guerre en est une de perceptions ; dans ce cas-ci, de perceptions du Québec en tant que pays livrant bataille aux perceptions du Québec en tant que province du Canada. Premier avantage des fédéralistes : Le Canada existe et possède une réalité physique perceptible. Premier désavantage des indépendantistes : Le pays du Québec n'existe pas encore. Première solution : Lui donner au moins une existence dans l'imaginaire des gens, la plus réaliste, la plus claire et la plus précise possible, capable de compétitionner avec les perceptions du Canada.»1
Ce que nous voulons, c’est faire du Québec un pays, souverain, indépendant et surtout réussi. Pour ce faire, il faut un discours et une vision claire de ce que nous voulons construire par l’indépendance, en fonction des réalités du Québec de 2017. En somme, il faut définir et illustrer par des mesures concrètes et actuelles ce qu’en d’autres temps on a qualité de « projet de pays ». Plutôt, faire que le Québec devienne un « pays de projets », un pays de chantiers collectifs pour construire notre avenir.Telle est l’ambition de ce livre.
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Selon certains, trop concrétiser le pays, le lier aux questions d’actualité et aux projets des Québécoises et des Québécois risquerait de faire dévier le nécessaire débat sur le statut politique du Québec vers un débat sur le plan social où les oppositions sont souvent tranchées,, éloignant le moment où un appui majoritaire à l’indépendance du Québec pourra se réaliser. L’axe indépendance-fédéralisme a en effet dévié progressivement vers un axe gauche-droite ces dernières années. D’autres débats, tel celui où on tient à opposer identité et diversité viennent détourner l’attention de notre question nationale qui n’est toujurs pas résolue. Comme l’a souvent répété Bernard Landry, « l’indépendance du Québec n’est ni de gauche ni de droite , elle est en avant ». Belle formule, mais où exactement, en avant ? Comment dépasser les divergences inévitables dans la population et dans les partis qui se partageront leur appui ? Comment créer suffisamment de convergence sur les objectifs pour qu’une majorité favorable à l’indépendance puisse se créer ?
C’est ma conviction la plus profonde que l’indépendance ne doit pas être un concept théorique, déconnecté de l’actualité et de nos problèmes de société, comme le statut du français, le déplacement des activités économiques, les injustices sociales ou la crise énergétique et climatique, pour n’en nommer que quelques-uns. En 2005, lorsque sont parus les manifestes des « lucides » et des « solidaires »2, le discours de ces deux groupes, opposés sur l’axe gauche-droite, évacuait la question nationale du débat. Comme si le rapatriement des moyens d’agir du Québec qui lui font cruellement défaut n’avait rien à faire avec nos principaux enjeux de société ! Ce faisant, on donnait dans le jeu des adversaires de l’indépendance, qui continuent depuis des décennies, à dénoncer « l’obsession référendaire » des indépendantistes, qui seraient occupés à leur rêve de pays mythique, ignorant les vrais problèmes.
Reprendre la promotion de la souveraineté, délaissée depuis trop longtemps, sans concrétiser la souveraineté dans des projets de pays serait une grave erreur. Cela a été démontré à l’élection de 2007 lorsque le chef du PQ a choisi de limiter sa campagne dans le cadre étroit de la politique provinciale pour introduire des propositions comme n’importe lequel des autres partis provinciaux. Le résultat : Les médias et les adversaires se sont fait un plaisir de présenter le PQ comme un vieux parti à court d’idées, alors que le programme adopté par les militants au Congrès de 2005 proposait des solutions innovatrices et concrètes sur toutes les questions. En 2005, l’appui à la souveraineté atteignait 55%. En 2007, le PQ était relégué au rang de deuxième opposition. Plus récemment, cela a été à nouveau démontré à l’élection de 2014 où des partis souverainistes, Parti Québécois comme Québec Solidaire, se sont trouvés à court d’explications sur leur projet d’indépendance, étant incable d’en définir l’impact sur l’économie, l’environnement, la justice sociale, la langue ou la culture.
À ceux qui prétendent que proposer un projet de pays risquerait de rompre la vaste coalition souverainiste, on peut répondre qu’il s’agit maintenant d’un argument totalement dépassé, puisque les votes souverainistes et autonomistes se dispersent entre plusieurs formations politiques de gauche à droite. La coalition arc-en-ciel qui existait au sein du Parti Québécois a été remplacée par une alliance qu’il faudra bien refaire, mais entre des partis politiques ayant chacun leur positionnement sur l’échelle gauche-droite et qui se réclament de la souveraineté, ou du moins d’un rapatriement substantiel des pouvoirs d’Ottawa.
Le défi devant nous consiste donc à concrétiser et à imaginer le pays du Québec dans une optique non partisane, sur la base d’objectifs et de mesures concrètes qui font un large consensus dans la population. Ces objectifs ne manquent pas. Comme on le verra dans la partie centrale de ce livre, il est possible de dessiner, sur la base de chaque grand objectif, un ensemble de mesures permettant de les atteindre, pour autant que nous récupérerions l’ensemble des moyens d’action dont nous prive notre statut actuel de province.
Si des mesures et des projets semblables étaient véhiculés par les militants et les militantes indépendantistes et leurs porte-paroles, s’ils étaient concrétisés dans une action politique permanente et convergente des mouvements et des partis indépendantistes, elles susciteraient un large appui au Québec comme pays indépendant. Il sera toujours temps de discuter des modalités, selon les sensibilités de gauche ou de droite de chacun, lorsque nous aurons les moyens de les réaliser.
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La partie centrale de cet ouvrage (chapitre 2) propose donc dix grands objectifs faisant l’objet d’un large consensus au Québec, qui pourraient devenir des chantiers collectifs mobilisateurs lorsque le Québec sera un pays. Dans chaque cas, j’identifie les blocages actuels qu’impose au Québec son statut de province dans le régime canadien, ainsi que les nouveaux moyens dont disposera le Québec indépendant.. J’identifie ensuite 15 à 20 mesures concrètes illustrant les bénéfices concrets de l’indépendance pour chacun de ces objectifs. Chaque objectif devient alors un chantier collectif, un chantier que nous sommes incapables de réaliser comme province sauf à la marge.
Auparavant, le premier chapitre sert de toile de fond en résumant nos 250 ans de résistance menant à ce choix qui reste toujours à faire et qui est devant nous, pressant : devenir un pays ou demeurer une province canadienne.
Le troisième et dernier chapitre établit la façon dont le Québec pourra devenir pays en rapatriant démocratiquement les moyens qui lui manquent. Essentiellement, le peuple québécois dispose d’un pouvoir constituant supérieur aux dispositions de la constitution canadienne, dont l’imposition unilatérale au Québec est régulièrement dénoncée par tous les partis représentés à l’Assemblée nationale. Ce pouvoir constituant dont nous disposons collectivement nous permettra de remplacer ce régime par une constitution élaborée approuvée par nous et pour nous, Québécoises et Québécois de toute origine et de toute orientation politique. Cette constitution sera la première de notre histoire qui n’aura pas été imposée de l’extérieur, comme celle dont on souligne cette années les 150 ans. Notre Constitution dessinera le cadre démocratique du pays dans lequel s’élaborera progressivement, un paysage qui nous ressemblera davantage que maintenant.
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J’en suis ainsi arrivé à rassembler dans un même document un ensemble cohérent de projets collectifs qui, à partir des consensus actuels dans la population du Québec, dessine les contours de ce que nous voudrons et pourrons réaliser lorsque nous aurons tous les moyens d’un pays.
J’ai entrepris ce travail en 2014 après avoir coordonné un ouvrage collectif, « L’indépendance, maintenant ! », publié en 2012. Ensuite, ce fut la coordination des travaux de la Commission nationale des États généraux sur la Souveraineté (ÉGS) du Québec, initiés par le Conseil de la souveraineté du Québec, lesquels ont mené au Rassemblement destiNation et à la création des Organisations Unies pour l’Indépendances (OUI-Québec). J’ai assuré l’édition et une partie de la rédaction des travaux des ÉGS, publiés dans l’ouvrage Forger notre avenir. J’ai ensuite approfondi le contenu du présent ouvrage en participant à diverses campagnes politiques, ainsi que par la mise sur pied d’un outil en ligne (www.wiki.quebec.) qui regroupe ces textes et d’autres.
Il était presque inévitable que j’en arrive à publier le présent ouvrage, à cause bien sûr de mon engagement politique à différents niveaux depuis 40 ans dans la lutte pour l’indépendance, mais aussi à cause de mes travaux académiques en ingénierie des connaissances, une forme d’architecture et de synthèse où on dessine les grandes articulations d’un système d’information. Dans ce livre, le système en question est très vaste puisqu’il s’agit d’une société, la nôtre. Il est tellement vaste que je suis conscient de n’en avoir traité que certains des aspects, les plus importants je l’espère. À vous de compléter l’ouvrage si le cœur vous en dit.
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J’espère que ce livre vous sera utile, à vous lectrice et lecteur, pour imaginer ce que pourra devenir le Québec. En particulier, je l’adresse aux jeunes qui n’avaient pas l’âge de voter au référendum de 1995. Cette génération n’a entendu parler de la souveraineté que comme un objectif lointain un peu déconnecté de questions vitales, comme l’environnement ou la participation à la vie internationale. J’espère aussi que la lecture de ce que nous pouvons réaliser ensemble donnera le goût aux Québécoises et aux Québécois issu.e.s de l’immigration, de construire ce pays du Québec qui leur appartient tout autant qu’aux Québécois d’origine canadienne-française. Je lance le même appel aux membres des nations autochtones du Québec qui sont invités à co-construire avec nous, eux aussi pour la première fois de leur histoire, ce vaste territoire que nous partageons.
Lorsque qu’une majorité d’entre nous le voudra, tout deviendra possible !
Gilbert Paquette
Ste-Béatrix, Août 2017
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1 Serge-André Guay, « Comment motiver les Québécois à voter pour ou contre l’indépendance du Québec », Livre électronique. https://livresnumeriquesgratuits.wordpress.com/comment-motiver-les-quebecois-a-voter-pour-ou-contre-lindependance-du-quebec-essai-serge-andre-guay/, p. 384.
2 Pour un Québec lucide sur le site : www.pourunquebeclucide.com, publié le 20 octobre 2005. Pour un Québec solidaire, dans l’édition du journal Le Devoir du 1er novembre 2005 : http://www.ledevoir.com/non-classe/93922/pour-un-quebec-solidaire