Ouvrage:Un pays en tête/Peupler et développer nos régions

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« L'épanouissement des milieux urbains et ruraux ne peut se faire dans le mur-à-mur ni dans "l'administration à distance". Il doit se faire dans la proximité. Proximité des décisions, des retombées, des services et des institutions. Il doit se faire aussi dans la modulation, dans la prise en compte de ce qui constitue chacun des territoires, dans leurs différences. » – Claire Bolduc1

On ne peut espérer prendre en charge l’immense territoire du Québec sans renforcer chacune de ses régions en y décentralisant une partie substantielle des moyens récupérés d’Ottawa en les intégrant à ceux dont dispose déjà l’État du Québec. Cela s’applique également aux territoires des communautés autochtones, selon des modalités à établir avec elles. Il faut par ailleurs contrer l’exode vers les grands centres en initiant un mouvement sans précédent de peuplement et de développement économique, social et culturel des régions, offrant à la population actuelle, aux jeunes en particulier, un environnement culturel riche et des champs nouveaux d’emploi, notamment dans la nouvelle économie du savoir et la transformation des richesses naturelles en régions.

Rapatriement et décentralisation dans les régions

La décentralisation n’est pas une fin en soi, mais un mode de gouvernance de l’État qui accorde un rôle important aux instances locales et régionales dans la solution des enjeux économiques, sociaux et environnementaux des collectivités territoriales. Elle est donc l’expression d’une démocratie participative évoluée en rapprochant la prise de décision des citoyennes et des citoyens sur les affaires qui les concernent, chaque ordre de gouvernement, État central, région, municipalités, exerçant les compétences qui lui sont le plus appropriées, compte tenu des services à rendre à la population.

La décentralisation a été sérieusement mise de l’avant comme projet majeur de réorganisation de l’État par le Gouvernement du Parti Québécois en 1976. L’élaboration d’une politique d’aménagement du territoire a été marquée principalement par la création des Municipalités régionales de comté (MRC), destinées à devenir des lieux privilégiés d’accueil des pouvoirs décentralisés. Depuis ce temps, une réelle décentralisation des pouvoir se fait attendre. On a bien assisté, en 2003, à la création des Conférences régionales des élus (CRÉ) dans chacune des régions administratives du Québec, avec pour principale mission de conseiller le gouvernement sur les enjeux de leur région respective et d'implanter les projets qui leur sont confiés par ce dernier. Cette timide réforme a été abolie en 2014 suite à la politiques d’austérité du gouvernement libéral actuel.

Dans ce domaine vital, comme dans beaucoup d’autres, le Québec fait du surplace. Pendant ce temps, plusieurs États indépendants parmi les plus avancés sur le plan social et économique ont pris le train de la décentralisation, dont la Suisse, la Suède, le Danemark et l’Allemagne. D’autres politiques de décentralisation sont en cours dans divers pays d’Amérique latine, comme le Brésil ou le Mexique. Le retard du Québec sur ce plan est certainement dû à un manque de volonté politique de nos gouvernements et à la résistance naturelle de l’appareil gouvernemental à se délester de pouvoirs, par ailleurs de plus en plus centralisés par le gouvernement canadien. Le Québec n’est pas un pays et son statut de province met un frein et des obstacles à la nécessaire réorganisation des structures de gouvernance, car l’État fédéral intervient aussi au Québec avec ses propres structures. Dans le Québec province, le type de décentralisation que l’on peut faire demeure limité à certaines responsabilités, souvent sans les budgets correspondants que le Québec n’a plus, étranglé financièrement dans le Canada du déséquilibre fiscal. Le Gouvernement d’Ottawa a trop de ressources, celui du Québec, pas assez.

Au lendemain de l’indépendance, le rapatriement intégral au Québec de tous les pouvoirs et budgets détenus par Ottawa aura un effet très important sur la décentralisation dans les régions et les municipalités du Québec. Cette situation radicalement nouvelle impliquera nécessairement un transfert dans les régions d’un nombre important de responsabilités et de budgets. Sans cela, le Québec deviendrait un État hypercentralisé, inefficace, loin des besoins des populations.

La décentralisation de l’État du Québec dans les régions et les municipalités rapprochera le pouvoir des gens en favorisant la démocratisation et la participation des citoyennes et des citoyens aux décisions qui les concernent. Les régions seront dotées de pouvoirs et de moyens financiers qu’elles n’ont pas actuellement pour planifier leur développement, notamment dans le domaine de la transformation des richesses naturelles, de la souveraineté alimentaire, de la culture, des communications et de la nouvelle économie. Par ailleurs, l’essor des régions sera mieux appuyé par un État québécois plus fort, pourvu lui aussi de nouvelles responsabilités récupérées de l’État canadien, notamment en matière de commerce extérieur et de relations internationales.

Diversité de développement des régions

Figure 4 - Les régions du Québec

Le développement des régions doit avoir lieu en tenant compte de leur diversité, laquelle doit orienter les priorités dans chaque région. Une vue d’ensemble globale (figure 4) permet de regrouper les 17 régions administratives du Québec en trois grand blocs2 :

  • Les régions ressources, Bas-Saint-Laurent, Abitibi-Témiscamingue, Côte-Nord, Nord-du-Québec (Nunavik), Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, regroupent 7,0 % de la population, comptent pour 8,1 % du produit intérieur brut (PIB) du Québec, représentent 80,2 % du territoire québécois. L’économie y est concentrée dans le secteur primaire, la principale activité étant l’extraction des ressources, dont la production est acheminée en majorité à l’extérieur du Québec.
  • Les régions manufacturières, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Mauricie, Estrie, Chaudière-Appalaches, Lanaudière, Laurentides, Montérégie et Centre-du-Québec regroupent 50,1 % de la population, 39,5 % du PIB. Dans ces régions limitrophes des grandes villes, le secteur manufacturier (secteur secondaire) occupe une place importante, bien qu’une partie du territoire soit aussi consacrée aux ressources naturelles, dont l’agriculture.
  • Les régions urbaines, Capitale-Nationale, Montréal, Outaouais et Laval regroupent 42,9 % de la population et plus de 50 % de l’économie du Québec. Elles comportent peu d’emplois dans le secteur primaire, se concentrant sur le secteur tertiaire de l’économie.


De ce survol général des régions, on constate l’énorme étendue du territoire du Québec qui reste à développer, le sous-peuplement et le sous-développement de certains régions et, en particulier, la nécessité de valoriser la transformation des ressources proche du lieu de leur extraction, dans les régions ressources, mais aussi dans les régions dites « manufacturières ». Par ailleurs, la diversité des régions est telle qu’elle rend indispensable la décentralisation des politiques pour assurer la mise en place de services et de moyens de développement adaptés à chaque région.

Emploi et peuplement des régions

Sur un autre plan, les statistiques de l’emploi au Québec révèlent de grandes disparités entre les régions. En 2015, 50,7 % des emplois du Québec se trouvaient dans les régions manufacturières. Les régions urbaines en rassemblaient 43,4 %. Les régions ressources se partageaient le reste, soit 5,9 %. « La contreperformance des régions ressources de 2010 à 2015 (− 9 200 emplois) est le reflet de la faible diversité de leur économie, qui n’a pas été en mesure de résister à la chute des prix des matières premières, notamment celui du fer, et à la fin des travaux de construction des parcs éoliens »3.

La population qui occupe un territoire est un indicateur déterminant de son développement économique. Ainsi, le développement d’une région est intimement lié à l’évolution future de sa population. En 2014-2015, 3 régions présentaient un taux net positif quant à la migration interrégionale des 15 à 29 ans, aux dépens des 14 autres régions : la Capitale-Nationale (+ 12,7 personnes pour 1 000 habitants), Montréal (+ 9,2 personnes) et l’Estrie (+ 1,8 personne). À l’inverse, ce sont la Côte-Nord (− 26,5 personnes pour 1 000 habitants), la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (− 22,7 personnes) et le Bas-Saint-Laurent (− 12,2 personnes) qui affichaient les taux nets négatifs de migration interrégionale des 15 à 29 ans les plus importants parmi les régions du Québec.

Ces mouvements migratoires vont à l’encontre d’un peuplement bien réparti sur le territoire du Québec. Certains pensent que ce mouvement de l’exode des jeunes des régions ressources vers les grandes villes est inévitable. À moins de se résoudre à fermer d’autres villages ou même des villes, il faut au contraire renverser la tendance.

Pour cela, il faut mobiliser l’ensemble des moyens de l’État et de chaque région dans le but de mettre en œuvre une stratégie adaptée à chacune. Une clef reste certainement le développement diversifié de l’emploi dans les régions par la transformation des ressources. Une autre clef est le contrôle de l’immigration et une politique de répartition de l’immigration dans les régions. Une troisième clef, tout aussi importante, est l’investissement massif dans l’éducation et la culture en région, notamment le soutien aux initiatives des universités et des collèges. Également, le contrôle de la radio, de la télévision et des télécommunications, qui échappe actuellement au Québec, favorisera l’accès à l’information, aux services de diffusion culturelle et à l’Internet large bande dans toutes les régions, stimulant le maintien des jeunes en région par l’offre d’emploi dans la nouvelle économie du savoir et la production logicielle et des média de communication.


PROJET 2

Peupler et développer nos régions

Le peuplement et le développement des régions met en cause un ensemble coordonné de mesures que seul un Québec indépendant pourra réaliser en rapatriant ses budgets et le contrôle des instruments de développement détenus par le gouvernement du Canada à l’égard du transport, des communications, de l’agriculture, des pêches et océans, de l’habitation, de la valorisation des richesses naturelles et du développement des communautés.

Un ambitieux projet de développement des régions comporte trois dimensions complémentaires : la décentralisation politique et le financement des régions, le développement économique autocentré des régions, des investissements accrus dans l’éducation, la culture et les communications en régions.

Décentralisation politique et financement des régions

  1. La création d’instances régionales de gouvernance élues par la population.
  2. Le transfert à ces gouvernements régionaux de responsabilités étendues, notamment dans le développement économique et l’aménagement, ainsi que l’intégration et la gestion des différents réseaux de services publics, éducation, culture, santé et services sociaux.
  3. La simplification de l’organisation politique au sein de chaque région en éliminant les chevauchements causés par les organismes et les programmes du gouvernement canadien et en évitant de multiplier les niveaux décisionnels.
  4. La déconcentration administrative de l’État québécois dans les régions, en intégrant les fonctionnaires fédéraux dans les services publics et parapublics québécois, prioritairement dans la région de l’Outaouais.
  5. L’établissement d’un nouveau régime fiscal assurant une autonomie financière aux régions en fonction de leurs responsabilités nouvelles, tout en assurant une équité interrégionale.
  6. Le remise sur pied des Centres locaux des développement (CLD) du Québec et leur regroupement avec les Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) financées par Ottawa, en un seul réseau de soutien de l’État aux initiatives régionales.

Développement économique autocentré des régions

  1. La mise en place d’une politique nationale favorisant le peuplement équilibré du territoire, notamment en matière d’immigration, de transport et de communication.
  2. L’instauration en région des « Fonds de diversification économique » et l’augmentation considérable des ressources de ce fonds en y intégrant les fonds fédéraux de développement.
  3. L’augmentation de la transformation au Québec de nos richesses naturelles et le réinvestissement dans les régions ressources des redevances liées à leur extraction par les entreprises.
  4. La bonification de la Charte du bois pour que le bois soit davantage utilisé dans la construction au Québec, notamment pour les ponts et les ponceaux, de façon à développer au Québec la transformation des produits de la forêt.
  5. La création en régions de la « Société québécoise des eaux (SQÉ) » pour développer une expertise publique au service des régions.
  6. L’augmentation de l’offre des produits québécois et de l’achat québécois en agriculture, notamment par l’approvisionnement local pour les institutions publiques, ainsi que l’offre d’un capital patient à la relève agricole et une stratégie de soutien à la production biologique.
  7. La signature d’accords économiques internationaux en fonction des priorités de développement des régions du Québec.

Éducation, culture et communications en région

  1. L’attribution de budgets accrus de recherche et d’innovation adaptés à chaque région et la mise en œuvre d’une politique de concertation régionale pour l’innovation entre les universités et les cégeps, les entreprises et les organismes communautaires.
  2. L’implantation de l’Internet large bande sur tout le territoire et un appui financier à la production logicielle en région destinée au marché québécois et international.
  3. Un appui règlementaire et financier à la radio, à la télévision et aux télécommunications, notamment pour faire de Télé-Québec une véritable télévision nationale présente dans toutes les régions, et pour favoriser la création d’instruments éducatifs communautaires de diffusion de la culture régionale et nationale.
  4. Des budgets accrus en culture dans les régions pour l’appui financier et technique aux créatrices et aux créateurs culturels, ainsi que l’appui aux municipalités pour le développement des services culturels : bibliothèques, loisirs culturels, centres d’arts, etc.

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1 Claire Bolduc, « Pour un Québec fort de ses communautés ! - La société civile se mobilise autour d'une vision d'avenir, 22 avril 2010 ». http://www.ruralite.qc.ca/fr/dossiers-ruraux/Communique/Pour-un-Quebec-fort-de-ses-communautes-La-societe-civile-se-mobilise-a

2 Gouvernement du Québec. Portrait économique des régions du Québec, Édition 2016, p. 11, https://www.economie.gouv.qc.ca/fileadmin/contenu/documents_soutien/regions/portraits_regionaux/portrait_socio_econo.pdf

3 Portrait économique des régions du Québec – Édition 2016, op.cit. p.76