Ouvrage:Un pays en tête/Québec, province ou pays ?
Examinons maintenant notre situation d’ensemble. Quels sont les processus à l’œuvre qui favorisent l’indépendance du Québec ? Dans son ouvrage The Dynamics of Secession, Viva Ona Bartkus (1999) propose un cadre d’analyse fondé sur l’examen d’un grand nombre de cas d’accession à l’indépendance. Elle constate que la probabilité de la sécession s’accroît lorsque les bénéfices de l’indépendance augmentent et que ses coûts ou dangers appréhendés diminuent, alors que les bénéfices de l'intégration à l’État englobant diminuent en même temps qu’augmentent les coûts de l’intégration. Le Québec est de toute évidence dans un tel contexte, objectivement favorable à son indépendance nationale.
Les bénéfices de l’indépendance du Québec augmentent
L’indépendance peut seule permettre d’inverser ces tendances lourdes qui mènent toutes à la lente et inexorable assimilation de la nation québécoise. L’indépendance du Québec consolidera une fois pour toutes la langue française comme facteur d’intégration et de promotion pour tous les Québécois, quelle que soit leur origine. Elle consolidera notre identité, condition nécessaire d’un « vivre-ensemble » de tous les Québécois.
Elle est aussi la seule façon de mettre fin à l’étranglement budgétaire du Québec en regroupant tous les impôts à Québec, créant une marge de manœuvre financière, notamment pour le réinvestissement en éducation et en santé et la décentralisation budgétaire vers les régions.
La coordination de nos moyens financiers et législatifs permettra à notre État national de lutter plus efficacement contre les changements climatiques, contre la pauvreté, contre la perte d’emplois. Enfin, quant à notre participation internationale, la disparition de l’écran que constitue le gouvernement canadien nous permettra d’y défendre nous-mêmes nos intérêts économiques ainsi que notre vision sociale ou environnementale.
Les prétendus dangers de l’indépendance ne font plus peur
Le camp fédéraliste cherche à gonfler les coûts ou les dangers imaginaires de l’indépendance en jouant sur la peur et en brandissant des menaces comme l’instabilité économique, la possible partition du territoire québécois ou les supposés obstacles juridiques quant au droit du Québec à faire son indépendance.
Essentiellement, les données concernant les nouveaux pays d’Europe de l’Est montrent que ceux ayant obtenu leur indépendance au milieu des années 90, comme la Slovaquie, la Slovénie et la République Tchèque, s’en tirent mieux qu’auparavant sur le plan économique. Pour ce qui est de la possible partition du territoire québécois, elle est repoussée du revers de la main par les cinq experts en droit international commandités en 1992 par la Commission Bélanger-Campeau. Enfin, les obstacles juridiques que tente de créer le gouvernement canadien avec la loi sur la clarté ne tiennent plus la route depuis le jugement de la Cour internationale de justice sur le Kosovo en 2010. En définitive, la volonté majoritaire clairement exprimée du peuple québécois entraînera tôt ou tard la reconnaissance du Québec souverain par d’autres pays, comme cela s’est fait pour les 193 membres actuels des Nations Unies.
Les bénéfices supposés de l’intégration n’existent plus
Dans une lutte nationale comme celle que mène le Québec, les partisans du fédéralisme cherchent à mettre en évidence les bénéfices en matière de sécurité économique et de rayonnement international qu’apporterait au Québec son appartenance au Canada. Or, plusieurs spécialistes notent que ces bénéfices sont désormais décroissants dans le contexte de la mondialisation. « Les Catalans et les Québécois seraient plus enclins à considérer la sécession, maintenant que la transformation graduelle du système international a réduit les bénéfices traditionnels de l’intégration dans un plus grand État, en ce qui concerne la sécurité et les bénéfices économiques. [...] L’intégration au sein d’un État reconnu n’est plus jugée essentielle à la protection et à la promotion de la sécurité et des intérêts économiques des communautés. » (Barkus, 1999, p. 201-202)
C’est d’ailleurs ainsi que raisonnent les Catalans, davantage intéressés à participer directement à la Communauté européenne et aux organisations internationales, que de le faire par l’intermédiaire de l’État espagnol. C’est aussi le cas Écossais qui, depuis le Brexit, songent à organiser un second référendum d’indépendance qui leur permettrait de participer par eux-mêmes à la Communauté européenne, même si l’Angleterre en sort. Pour nous du Québec, absents de la table de renégociation de l’ALÉNA qu’entreprend l’administration des États-Unis sous Donald Trump, l’indépendance permettrait d’y défendre directement nos intérêts.
Par ailleurs, un des bénéfices du fédéralisme souvent invoqué par Pierre Elliot Trudeau à Ottawa serait la promotion de la langue française dans la fonction publique fédérale et comme langue seconde « from coast to coast ». Autrement dit, le grand espace canadien favoriserait l’expansion de la langue française, un vieux rêve et un mythe démenti par les faits. Or, l’analyse des recensements nous indique que plus de la moitié des francophones hors Québec et hors Nouveau-Brunswick ont cessé de parler leur langue à la maison, et la tendance se poursuit. Quant au français dans la fonction publique fédérale, un fossé sépare les gestes de la parole, aux dires mêmes de l’ancien Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser (2007).
Les dangers de l’intégration augmentent avec le « Canada building »
De plus en plus, le gouvernement fédéral devient, de fait, le gouvernement dominant au Canada, prenant la place des gouvernements provinciaux même dans leurs domaines de compétence exclusifs définis dans la Constitution canadienne, comme l’éducation, la santé ou les richesses naturelles. Cela signifie que le gouvernement du Québec, sur la défensive, est de plus en plus impuissant à répondre aux besoins de ses citoyens. Dans chacun de nos projets collectifs, nous nous faisons dire, de plus en plus, que la solution est à Ottawa. Parfois, celui-ci répondra positivement mais, le plus souvent, les intérêts de l’Ontario ou de l’Ouest prévaudront (Lisée, 2000). Dans tous les cas, les services fédéraux seront de plus en plus uniformes d’un océan à l’autre puisque telle est l’approche des bureaucrates d’Ottawa, sans que l’on tienne compte des choix de société que les Québécois pourraient faire par eux-mêmes.
Des tendances lourdes comme l’étranglement financier qui menace le Québec, la centralisation à Ottawa et la minorisation des Québécois et des francophones au sein du Canada, se conjuguent pour conduire à une attrition du fait français au Québec et au Canada hors-Québec, accompagnée d’un affaiblissement du sentiment national et de l’identité québécoise. En somme, de nation sans État complet, nous risquons de glisser au rang de minorité linguistique au Canada, réduite à lutter pour sa survivance, au lieu de prendre la place qui nous revient dans le concert des nations.
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L’indépendance du Québec est un projet éminemment démocratique de reprise en main par les citoyennes et les citoyens de leur vie collective. Elle offre la chance d’établir ici, comme dans d’autres pays, une véritable démocratie de participation et de concertation. Elle offre la possibilité de fournir, avec les nouvelles responsabilités et la marge de manœuvre financière récupérée d’Ottawa, de larges moyens aux régions du Québec pour leur développement. Elle offre enfin au Québec une participation directe à la vie internationale pour y faire valoir ses valeurs et ses projets.
L’indépendance, ce n’est plus seulement défendre notre identité et notre héritage national dans une mentalité de survivance, mais c’est bâtir notre avenir, inventer une société nouvelle, créative et coopérant avec les autres, c’est acquérir la fierté d’une nation libre, inclusive, inventive, productive, pleinement démocratique et engagée dans la Société des Nations. En définitive, c’est une simple question de démocratie, de responsabilité et de dignité.