Ouvrage:Un pays en tête/Une question d’existence de notre nation

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Les Québécois ne sont pas une minorité ethnique mais un État-nation. Le peuple québécois dispose d’un territoire et d’un État qui le rendent capable de se gouverner lui-même et pour lui-même selon ses propres fins, ses propres valeurs, sa propre culture, ses propres lois. L’existence de cet État distingue la nation québécoise d’une simple minorité ethnique. De plus, le Québec ne peut être considéré comme une province comme les autres, car il dispose de toutes les bases d’une société globale1 avec sa population, son organisation, ses institutions d’éducation et de santé, son droit, sa justice, sa culture, sa langue, son économie, sa manière de vivre.

L’historien Maurice Séguin (1987) et le constitutionnaliste Jacques Brossard (1976) ont mis en évidence les éléments qui constituent une nation. Ce ne sont pas uniquement la langue, la religion, la culture ou l’histoire commune. Il existe en effet des nations distinctes, dont la langue, la religion et, jusqu’à un certain point, la culture et l’histoire sont les mêmes. C’est le cas des nations latino-américaines, par exemple. Elles n’en constituent pas moins des nations distinctes parce qu’elles se considèrent comme telles. Le propre d’une nation, c’est le fait de se savoir distinct, de former une collectivité distincte et de vouloir vivre ensemble. C’est aussi le contrôle d’un État régissant un territoire bien précis. C’est cette réalité qui fonde le pouvoir constituant de la nation québécoise à disposer librement d’elle-même, y compris d’accéder à son indépendance.

Notre histoire : 250 ans de résistance

Il n’est pas inutile de rappeler à grands traits notre histoire marquée par plus de 250 ans de résistance. Peuple conquis en 1760, la population québécoise (qu’on appelait alors « canadienne ») cessait de vivre au sein d’une colonie française pour être contrainte désormais par les lois du gouvernement impérial de Londres. Malgré cet énorme traumatisme de la Conquête qui colonise encore les esprits de trop d’entre nous, le peuple québécois n’a jamais baissé les bras tout au long de son histoire, cherchant à obtenir le maximum d’autonomie ou de souveraineté pour sa patrie à travers différents régimes décidés par le pouvoir dominant.

Treize ans après la Conquête, dès 1774, par l’Acte de Québec et ensuite par l’Acte constitutionnel de 1791, le peuple Québécois obtient une certaine reconnaissance de son existence distincte et une assemblée représentative consultative fondée sur le suffrage populaire. Engagé dans un processus d’émancipation au cours de la décennie commençant en 1830, il cherche alors à se libérer de la tutelle du gouvernement anglais représenté par un gouverneur britannique et un Conseil législatif non élu. Le Bas-Canada (c’est-à-dire le Québec) est déjà un État-nation francophone et pluriethnique en devenir. On ne peut douter de l’adhésion de la population francophone du Bas-Canada à cette aspiration à l’indépendance, et de nombreux anglophones adhèrent également au principe du gouvernement démocratique par le peuple même s’ils y sont minoritaires. En 1834, le Parti Patriote présente 92 résolutions à la Chambre d’Assemblée du Bas-Canada et au Parlement de Londres, résolutions que l’on qualifierait aujourd’hui d’autonomistes. Les résolutions 50 et 86 expriment la détermination d’obtenir gain de cause en menaçant de sécession en cas de refus de Londres.

Le rejet de cette volonté démocratique par le Parlement de Londres provoque le soulèvement de 1837-38. La répression armée de l’aspiration nationale amorce alors une longue période de refoulement et d’impuissance collective. Malgré tout, l’aspiration nationale demeure présente. Après la proclamation de l’Acte d’Union imposé au Bas-Canada, les francophones deviennent minoritaires dans le Canada-uni, mais réussissent à se tailler une place en s’alliant à des leaders progressistes anglophones. Pour les Québécois, l’aspiration à l’indépendance se transforme temporairement en aspiration à l’égalité entre deux nations. Cet espoir survivra même après l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, qui fut présenté au Québec comme un pacte entre deux nations, jusqu’au rapatriement de la Constitution canadienne de Londres en 1982, imposée au Québec, qui niera clairement ce principe.

La nouvelle Constitution de 1867, qui a 150 ans cette année, naît sous la pression des Canadiens anglais et des Britanniques, d’abord pour des raisons économiques et d’occupation territoriale, mais aussi avec l’objectif de minoriser davantage les canadiens-français. Devant la menace d’un État unitaire canadien regroupant toutes les provinces britanniques au nord des États-Unis, plusieurs hommes politiques francophones acceptent le régime quasi fédéral proposé, espérant sauver une partie de l’autonomie acquise sous l’Union. Par un vote de 26 des députés canadiens-français du parlement de l’Union, contre 22 qui s’y opposent, sans aucune consultation du peuple du Québec, le Canada uni est démembré et le Québec devient l’une des quatre provinces fondatrices de la fédération canadienne. Pour beaucoup, cette constitution apparaît comme un progrès par rapport à l’Acte d’Union, car elle donne au Québec un État provincial distinct, tout en les minorisant davantage cependant, au sein du Canada. La présence de francophones dans d’autres provinces encourage également ce rêve d’un patriotisme pancanadien fondé sur l’égalité des deux peuples fondateurs.

Très rapidement, plusieurs évènements viennent toutefois révéler aux francophones du Canada et du Québec les véritables intentions des dirigeants canadiens, décidés à bâtir un pays anglophone fondé sur leurs propres valeurs et leurs propres intérêts.

  • Interdiction d’enseigner le français dans les écoles de la Nouvelle-Écosse (1864), du Nouveau-Brunswick (1871), de l’Île-du-Prince-Édouard (1877), du Manitoba (1890 et 1916) et de l’Ontario (1915).
  • Retrait, en 1892, de l’appui financier de l’État aux écoles séparées francophones des Territoires du Nord-Ouest (regroupant alors la Saskatchewan et l’Alberta), puis élimination du bilinguisme dans ces deux provinces lors de leur création en 1905.
  • Répression fédérale contre les Métis francophones du Manitoba et exécution de leur chef Louis Riel.
  • Engagement du Canada dans la guerre des Boers (1900) dénoncée par tous les francophones du Canada
  • Conscription forcée et répression militaire violente dans la ville de Québec (1917)
  • Conscription forcée malgré un référendum démontrant l’opposition massive des Canadiens français (1942).

L’épisode de la création de la Saskatchewan et de l’Alberta en 1905 et du rejet de la partie du projet de loi prévoyant des écoles françaises subventionnées par l’État est particulièrement significatif. Le premier ministre fédéral Wilfrid Laurier, forcé de reculer sous la pression de ses propres ministres anglophones, est déçu et humilié. Au cours du débat, il déclare : « Chaque fois que je retourne dans ma province, je regrette d’y constater qu’un sentiment y existe que le Canada n’est pas fait pour tous les Canadiens. Nous sommes forcés d’arriver à la conclusion que le Québec seul est notre patrie, parce que nous n’avons pas la liberté ailleurs. » (Bilodeau et coll., 1971)

C’est justement lors de la présence de Québécois à la tête de l’État fédéral que se produisent d’importants reculs pour le peuple québécois, le plus récent exemple étant le rapatriement unilatéral de la Constitution sous Pierre Elliot Trudeau. Le débat entourant le rapatriement de 1982 met fin définitivement au mythe d’un Canada fondé sur un pacte entre deux nations et à l’espoir d’égalité qu’entretiennent encore certains Québécois.

Mais déjà, au cours du 20e siècle, les Québécois s’orientent vers l’accroissement de l’autonomie de l’État du Québec au sein du Canada. Les premiers ministres du Québec, à partir d’Honoré Mercier jusqu’à Robert Bourassa, en passant par Taschereau, Duplessis, Lesage, Johnson et Bertrand, pratiquent, avec une intensité variable, l’autonomie provinciale et revendiquent, sans succès, des modifications substantielles à la Constitution visant à augmenter les pouvoirs du Québec et à freiner la tendance centralisatrice de l’État fédéral. Progressivement, le courant autonomiste se transforme en indépendantisme, menant à la création du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) et du Parti Québécois (PQ) de René Lévesque, lequel propose, au référendum de 1980, une nouvelle entente fondée sur l’égalité entre deux nations souveraines. Au second référendum, de 1995, l’appui à la souveraineté du Québec atteint 49,6 % et se maintient depuis ce temps dans les sondages autour de 40 %, parfois à 35% comme maintenant, mais avec des pointes allant jusqu’au-delà de 50 % en 20052.

Une nation annexée, subordonnée

Ce résumé concis de l’histoire du Québec est celui d’une nation annexée, presque toujours sur la défensive, bloquée dans de trop nombreux secteurs de sa vie collective, en un mot, subordonnée. Cette histoire est aussi celle d’une forme sournoise d’oppression. L’oppression nationale est un concept qu’il faut bien comprendre, tout comme celui de « violence ». La violence peut être physique, comme dans les cas du génocide acadien de 1755, de la répression des Patriotes en 1837-1838, de la pendaison de Louis Riel en 1885 ou des arrestations de 1970. Mais, en règle générale, l’oppression nationale ne consiste pas à s’en prendre aux individus, mais plutôt au lien même, au ciment qui unit la nation.

Les multiples décisions de la Cour suprême du Canada qui ont invalidé au fil des ans plusieurs dispositions de la Charte de la langue française (loi 101) en sont une manifestation éclatante. La Constitution canadienne a été construite pour donner au gouvernement dit « national », celui d’Ottawa, un statut supérieur à celui des provinces, notamment contre le gouvernement national des Québécois, puisque celui-ci est dévalué au rang de simple province. Le partage des compétences dans la Constitution prive de multiples façons le Québec de compétences majeures (transport maritime, ferroviaire et aérien, défense et armements, relations internationales, ouvrages interprovinciaux, etc.), limitant sa capacité d’action tant sur le plan budgétaire que règlementaire. La clause des compétences résiduaires fait en sorte que tout ce qui n’est pas prévu dans la Constitution de 1867, notamment les domaines de la radio, de la télévision et des télécommunications, relève d’Ottawa. Les champs de compétences partagées, telle l’agriculture ou l’environnement sont par ailleurs soumis à la règle de prépondérance du gouvernement canadien.

L’ADN du Canada se révèle dans les six pouvoirs qui permettent au Gouvernement central d’invalider les lois du Québec (Lajoie, 2005 ; Paquette, 2010). Les juges de la Cour suprême sont nommés par le chef du gouvernement canadien. Ils émanent en majorité de la nation majoritaire et ils appliquent la politique de la nation majoritaire. Les jugements de la Cour suprême ont remplacé, dans les faits, le droit de désaveu prévu dans la constitution canadienne qui permet au gouvernement central d’invalider des lois provinciales. Depuis 1982, la promotion des droits individuels, grâce à la Charte canadienne des droits et libertés et aux pouvoirs de la Cour suprême, se fait au détriment des droits collectifs, dont ceux de la nation québécoise. Le pouvoir déclaratoire autorise le gouvernement fédéral à modifier la sphère de compétence d’un gouvernement provincial dans le cas de travaux dits « à l’avantage général de la fédération ». Le pouvoir « paix, ordre et bon gouvernement » a permis à Ottawa de suspendre les libertés civiles lors de la crise d’octobre 1970 en décrétant l’état d’urgence et en emprisonnant des personnes innocentes de tout crime. Le « pouvoir de dépenser », est un autre mécanisme non constitutionnel fréquemment employé, par lequel le gouvernement fédéral s’arroge le droit d’intervenir dans des sphères de compétences, même exclusives, des provinces. Le résultat est que le Québec est continuellement amputé de ses pouvoirs, les fonctionnaires d’Ottawa appliquant des mesures bureaucratiques uniformisantes « from coast to coast » même dans des domaines réputés de compétence provinciale, comme l’éducation ou la santé.

Attitudes dominatrices canadiennes

L’annexion prolongée conduit lentement mais inexorablement à l’assimilation. Les données des derniers recensements au Canada démontrent une diminution constante du nombre de Canadiens français, hors Québec, qui parlent encore français à la maison, exception faite de la péninsule acadienne au Nouveau-Brunswick et de certaines régions ontariennes limitrophes du Québec. En dehors du Québec, il n’y a pas plus que 4,5 % des Canadiens de langue maternelle française, et plus de la moitié ne parlent plus français à la maison. Les chiffres démontrent aussi la vitalité linguistique de l’anglais et sa force d’attraction, même au Québec (Castonguay, 2011).

Les seules réponses jusqu’ici offertes par la fédération canadienne sont foncièrement incompatibles avec les aspirations du Québec comme nation. En voici la raison principale. Vingt ans après l’échec du Lac Meech, l’opinion canadienne-anglaise est radicalement contre tout changement au régime. Aucun politicien et aucun gouvernement ne peut aller à l’encontre d’une volonté dominatrice aussi manifeste de la majorité de la population. Qu’on en juge par les résultats d’un sondage, commandité en mai 2010 par le Bloc québécois et les Intellectuels pour la souveraineté (IPSO) pour connaître les opinions des Québécois et des Canadiens anglais sur cette question En voici les principaux résultats (Drouilly, 2010) :

  • Alors que 73 % des Québécois souhaitent que la constitution canadienne reconnaisse que le Québec forme une nation, 83 % des Canadiens-anglais sont en désaccord.
  • Bien qu’une très forte majorité de Québécois (82 %) souhaitent que le Canada amorce une nouvelle ronde de négociations afin de trouver une entente constitutionnelle satisfaisant le Québec, plus de 6 Canadiens-anglais sur 10 (61 %) se disent en désaccord avec cette idée.
  • Près de 3 Québécois sur 4 (73 %) sont d’accord pour un nouveau partage des pouvoirs et des ressources entre Québec et Ottawa, alors que 71 % des Canadiens-anglais sont en désaccord.
  • Dans une proportion de 82 %, les Québécois sont d’avis que le gouvernement québécois devrait disposer de plus de pouvoirs pour protéger la langue et la culture françaises sur son territoire, alors que 69 % des Canadiens-anglais se disent en désaccord.
  • 90 % des Québécois croient que le gouvernement du Canada devrait respecter les dispositions de la loi 101 qui fait du français la seule langue officielle sur le territoire du Québec ; 74 % des Canadiens-anglais manifestent leur désaccord.
  • Dans une proportion de 62 %, les Québécois estiment que le Québec a le droit de se séparer du Canada, contre 70 % des Canadiens-anglais qui sont d’un avis contraire.
  • Pour 75 % des Canadiens-anglais, une majorité simple (50 % plus une voix) est insuffisante pour que le Québec devienne souverain ; 89 % des Canadiens sont d’avis qu’il appartiendrait au Canada de déterminer la majorité requise dans un référendum sur la souveraineté du Québec.
  • 45 % des Canadiens-anglais sont d’avis que le Canada doit refuser de négocier la souveraineté du Québec, suite à un OUI gagnant lors d’un référendum sur la souveraineté.

Ces résultats démontrent on ne peut plus clairement la relation de dominant à dominé qui hante l’esprit d’une majorité de Canadiens anglais et de Canadiennes anglaises. Ils démontrent un manque de respect total envers la nation québécoise qui, pourtant, a un droit absolu de choisir son avenir national. Cette attitude est confortée par la redéfinition du Canada qui se voit comme une société multiculturelle, principe maintenant inscrit dans la Constitution. Aux yeux de la majorité canadienne, les Québécois n’apparaissent plus alors que comme une simple minorité ethnoculturelle parmi d’autres, dont la langue n’est même plus la deuxième en importance dans les provinces à l’ouest du Québec, là où le Canada construit son avenir.

S’ajoute à cette attitude dominatrice le cadenas juridique fermé à double tour qui régit les amendements constitutionnels au Canada depuis le rapatriement de la Constitution en 1982. Pour le moindre changement à la Constitution, il faut désormais l’accord de 7 provinces représentant ensemble plus de 50 % de la population canadienne. De plus, avant de donner leur accord, il est probable que les gouvernements des provinces voudront consulter leur population par référendum, consultation dont on peut facilement deviner l’issue, compte tenu de ce qui précède.

Le Québec doit accéder à son indépendance pour un grand nombre de raisons, mais tout d’abord pour des motifs existentiels, pour maintenir et consolider son identité nationale, sa langue et ses valeurs par le contrôle de l’ensemble des secteurs de sa vie collective.

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1 Gérald Fortin. « Le Québec : une société globale à la recherche d’elle-même ». Recherches sociographiques, volume 8, Numéro 1, 1967, p. 7-13 ; https://www.erudit.org/fr/revues/rs/1967-v8-n1-rs1518/055333ar/

2 « Un appui ferme à la souveraineté », Le Devoir, 20 octobre 2005. http://www.ledevoir.com/non-classe/92982/dix-ans-apres-le-referendum-de-1995-un-appui-ferme-a-la-souverainete